Car les copilotes sont rarement mis à l’honneur, il était important de leur donner un coup de projecteur, à travers une histoire, celle de Victor Bellotto, copilote de Florian Bernardi en trophée Clio R3T cette saison.
Après une année sabbatique en 2017 pour des raisons professionnelles, Victor n’a pu s’empêcher de revenir à ses premiers amours pour cette saison 2018.
Pour son retour dans le baquet, Victor nous fera partager l’ensemble de sa saison à travers un long récit publié après chaque course. Pour ce premier carnet d’une longue série, direction le Touquet pour suivre le week-end de Victor aux côtés de Florian Bernardi, favori du trophée Clio R3T France.
Retour aux affaires
Le Rallye du Var 2015. Mon dernier « carnet de route » officiel posté sur la toile.
Une aventure sportivo-littéraire commencée au Var 2011 et qui me collait à la peau telle une marque de fabrique. Et puis en 2016, l’arrêt brutal. L’année qui aurait dû être celle de la concrétisation fut au contraire celle de la remise en question. Une année trop chargée aussi avec mon poste de coordinateur à plein temps dans l’équipe CHL Sport Auto. Mais l’envie d’écrire, elle, n’avait pas disparue. Et ce coup de téléphone fin 2017 pourrait bien relancer la machine.
L’épopée en Junior
Ce cher Florian Bernardi qu’on ne présente plus et que je n’ai pas vraiment lâché depuis notre collaboration en 2012 en Championnat de France Junior, me propose de retourner au combat pour 2018. D’abord surpris qu’il fasse appel à un jeune retraité disparu du marché, c’est rapidement très motivé et prêt à reprendre du service que j’attends la décision finale. N’étant pas tout seul pour la place de droite, je patiente fébrilement jusqu’au verdict. Ne pas être pris quand on ne le veut pas ou qu’on ne le sait pas c’est une chose mais maintenant qu’il m’a mis cette idée dans la tête, je ne me vois pas rester chez moi ! Après de longues discussions avec son entourage et notamment Xavier son dernier copilote, je suis sélectionné pour épauler Florian, 6 ans après notre dernier rallye ensemble. Une délivrance.
Course contre la montre
Il n’y a plus de temps à perdre maintenant. Un groupe de travail avait été créé l’année dernière pour décharger Florian sur les aspects financiers, communication et logistique. Il faut donc rapidement que j’intègre cette brigade et trouve ma place. Mes expériences de coordinateur au sein d’un team et de copilote sont des atouts plus que primordiaux dans ces situations. Rapidement je mets à disposition des outils, des checklists, des méthodologies pour responsabiliser chaque partie et avancer. Je me replonge dans mes books, les calculs de consommation et surtout les reconnaissances. Analyser le parcours, les adversaires, recopier des notes, visionner les caméras. Cette overdose que j’avais ressenti il y a quelques temps m’avait finalement manquée. Et je fais tout cela avec le sourire et la rage au corps.
Retrouver l’envie
Ce n’est pas le copilotage qui m’avait dégouté mais bien tout ce qui gravitait autour. En évoluant à un niveau professionnel, j’avais perdu cette osmose d’équipe et d’équipage qui est si importante à mes yeux, ce plaisir de partager l’habitacle et toutes ces sensations avec quelqu’un qui respecte votre travail, qui se donne, qui devient un ami. La discussion avec Xavier (Castex) lors de notre réunion a été très importante pour moi. Il n’y avait aucune rivalité, aucune jalousie. C’était logique pour lui de se mettre en retrait cette année pour des raisons personnelles plutôt que de rouler à tout prix au risque de pénaliser Florian. Et il ne voyait personne d’autre à ce poste même si c’était dur pour lui.
J’ai roulé avec tous types de pilotes : certains avaient juste le talent, d’autres la gentillesse et la passion mais cumulaient rarement les deux. Florian fait partie de cette exception. Sa longévité à ce niveau n’est pas dû au hasard mais à un travail acharné depuis des années. Le bonhomme est foncièrement bon, il ne se force pas à être gentil, passionné, drôle, il est comme cela naturellement et avec tout le monde. Il a ce coup de volant naturel qui l’a fait gravir les marches du championnat de France. Aujourd’hui, il veut enfin vaincre ce chat noir et concrétiser en remportant un premier titre mérité. J’ai toujours trouvé sa réputation de carrossier usurpée. Quand vous regarder ses statistiques, il sort peu. C’est son style spectaculaire à la Ragnotti qui le trahit mais qui ravi surtout les spectateurs. En coulisse, il dépense une énergie démesurée à fédérer des partenaires, boucler des budgets, organiser des soirées pour ses supporters, communiquer. Alors quand il arrive sur un rallye, croyez-moi que ce mec mesure tous les efforts nécessaires pour être au départ. Il vous boufferait la main tellement il a la niaque. Certains devraient prendre exemple. C’est ce que j’ai toujours admiré et respecté chez lui. Il vous transmet ce goût pour ne jamais rien lâcher.
Comme si c’était hier
On entame notre saison par le plus long déplacement du championnat : près de 10h pour rejoindre Abbeville chez notre nouveau préparateur Frédéric Anne Compétition. Je suis immédiatement rassuré par l’ambiance qui se dégage dans la vaillante Corsa de recos, comme si nous étions toujours en 2012. Nous arrivons sur place en milieu d’après-midi et après une rapide présentation des lieux et des mécaniciens, nous nous attaquons sans plus attendre à la décoration de la voiture qui va nous donner beaucoup de travail. Le déverminage est prévu pour le lendemain du côté de Clenleu et chaque minute va compter. Cela fait moins d’une semaine que la coque a été reçue dans les ateliers et les gars ont bossé littéralement jours, nuits et weekend pour respecter le timing. Nous repartons vers 21h car nous sommes invités chez Frédéric pour faire plus ample connaissance. Le moins que l’on puisse dire c’est que le mot passion prend tout son sens au travers d’un tel personnage.
Le verdict
Après une courte nuit, nous revoilà chez FA Compétition pour avancer sur ce puzzle de stickers. Thomas, notre chef mécanicien nous a maudit pendant ces 2 jours, nous qui étions toujours fourré dans ses pattes à coller nos maudits autocollants alors qu’il tentait de nous faire une géométrie au degrés près. Pardon ! A 14h30, nous devons à tout prix partir sur la base sous peine de ne rien pouvoir déverminer du tout. On commence par quelques tours de mise en route à l’assistance afin de faire tout monter en température et déceler d’éventuels soucis : la voiture n’avait pas fait un seul mètre hors de l’atelier avant cet après-midi. On part ensuite pour 2 runs de déverminage sur la base bien connue de Clenleu qui servira de shakedown dès jeudi matin. L’occasion pour moi de réécrire des notes, retrouver les sensations d’un habitacle, d’un casque, des harnais. Lorsque tous les voyants sont au vert, nous repartons pour un vrai run en conditions course : « Cette fois Victor, c’est à ton tour d’être en condition de course ! ». Alors je balance les notes au feeling et cela semble convenir à Florian qui se concentre à analyser toutes les réactions de l’auto, son comportement, sa position de conduite. On trouve rapidement quelque chose de sécurisant et d’efficace. On aura effectué presque 40km non-stop, en comparant même nos sensations dans l’auto dans cette partie ultra rapide et bosselée avant la bosse, grisant. Les larges sourires se lisent sur les visages de toute l’équipe qui se rassure après des journées épuisantes pour terminer l’auto : le bout du tunnel est proche.
Manque de sommeil
Le lendemain place aux reconnaissances qui n’ont jamais été aussi relax pour moi : tout se fait largement en une journée avec seulement deux passages, nous attaquons à 9h00 au lieu de 7h00 en prenant une vraie pause à midi à Hucqueliers pour dire bonjour à des amis de Florian et nous attendons mêmes au départ de la dernière pour effectuer le second passage de nuit. Presque plaisant ! L’avantage de laisser les équipages choisir l’ordre des spéciales et d’avoir un parcours très regroupé. Nous rentrons à notre hôtel à Berck aux alentours de 21h30 et je me force à terminer de mettre au propre toutes mes notes pour être serein les autres jours. Musique dans les oreilles, lampe de bureau comme seule source de lumière, un bureau aussi grand que ma tablette des recos, que demander de plus ? Résultat : couché à 2h30 ! Voilà une chose qui ne m’avait pas manqué en tout cas.
Dernière ligne droite
En ce jeudi de reprise du championnat, pas de shakedown pour nous puisque tout s’est bien passé le mardi. Mais nous sommes de retour de bonne heure à l’atelier pour finaliser cette satanée décoration qui n’en finit plus ! Au moment de repartir pour le Touquet pour effectuer la super spéciale à pied, tout semble finalement prêt pour les vérifications techniques du soir. Arrivé sur place, j’avais oublié le gros défaut de Florian : sa sympathie ! Nous nous arrêtions tous les 2m pour dire bonjour et cette super spéciale n’en finissait plus. Surtout que cette année, les organisateurs avaient quasiment tout modifié et pas en mieux : le piège à con par excellence. Etroite, glissante avec du sable et des blocs de béton pour délimiter le tracé, un vrai bonheur … Nous finissons au pas de course et je dépose mon pilote à la conférence de presse, pas tout à fait en avance, pour les photos officielles et le protocole. Pour ma part, j’effectue un aller-retour express à l’hôtel pour récupérer le câble d’alimentation de la caméra embarquée que nous n’avions pas eu le temps d’installer depuis notre arrivée. Interview, vérifications, installation de la caméra embarquée, mise en parc fermé, nous soufflons enfin vers 21h30 dans un restaurant du centre-ville avec tous les autres membres de l’équipe dont Camille et Frédéric Flajolet qui ont troqué cette année leur Clio R3T contre une Subaru Impreza N15. Demain retour aux affaires.
Vif du sujet
Aujourd’hui c’est jour de course. La nuit dernière j’ai programmé 5 ou 6 réveils différents pour être sûr de ne pas en arrêter un par accident. Mais vu que je n’ai pas vraiment fermé l’œil, aucun risque. En guise d’échauffement, nous nous rendons à l’hospitalité Renault Sport afin d’effectuer le premier briefing de la saison et toutes les photos officielles. J’ai du mal à me détendre et profiter, j’ai cette impression perpétuelle d’avoir oublié quelque chose, de ne pas être dans le rythme, de louper un pointage. Vivement que le rallye démarre pour retrouver des automatismes. Je sais que Florian aussi à hâte de connaître le niveau de tous nos adversaires, être le favori amène une pression supplémentaire. Le premier choix de pneus est déjà un vrai casse-tête mais nous jouons la sécurité pour cette première boucle. Sur la liaison j’essaye de me rassurer en m’appropriant « mon bureau », pour que les sensations reviennent naturellement. Cette première ES est déjà un vrai test pour tout le monde : les 4 roues motrices nous laisse un chantier de boue sur une route à la base plutôt sèche, tout ça caché derrière des ciels ou des virages en aveugle, la concentration et les instincts doivent être affutés comme jamais. Rassurés, nous réalisons notre premier scratch, devant une Sara Williams très surprenante qui a dû travailler très dur pendant l’intersaison.
Sous contrôle
On enchaine sur Preures, une ancienne spéciale que beaucoup découvre dont nous et que nous avions noté comme compliquée après nos recos. Elle le sera pour moi avec quelques parties très rapides et des freinages piégeux où l’annonce de note sera primordiale. Après une première spéciale plutôt rassurante pour mon retour, je me force maintenant à refaire confiance à mon bassin et regarder la route le moins possible, ne pas tout analyser. Ce que j’arrive à faire par moment mais moins à d’autres. Il faut laisser le temps au temps comme on dit. Nous réalisons un second scratch dans Bourthes, une grande classique, malgré un problème de buée après le gué qui nous aura valu de faire presque 500m complètement en aveugle en fond de 6. A la pause de midi, nous sommes en tête avec près de 22s d’avance sur Delaporte, parfait.
L’après-midi, le scénario se répète presque à l’identique puisque nous laissons encore filer le scratch dans Preures mais cette fois pour économiser nos pneus et nous retrouvons même notre amie la buée malgré avoir anticipé le problème avant le gué. Résultat, 6 scratchs sur 8 et une avance portée à 46s sur le second. Nous ne pouvions guère rêver mieux. La voiture et l’équipe ont fonctionné à la perfection et j’ai découvert un Florian bien plus stratégique, mature et sûr de ses forces. J’avais quelque peu oublié les sensations que procure ce sport dans le rapide, le bosselé, le gras et j’avoue avoir dû puiser assez loin pour me rappeler ce dont était capable une deux roues motrices avec un très bon pilote à son volant. Après le premier tour mon ressenti n’était pas encore optimal mais j’ai mis un point d’honneur à me focaliser uniquement sur mes notes et mon regard et occulter tout le reste pour ne pas gêner Florian dans son pilotage. Dans Preures, sur cette partie ultra rapide de la boucle où on déboule sur un D140 caché au rupteur de 6, je me demandais ce que je faisais là au premier passage mais au second je savais pourquoi j’aimais tant ce sport ! Après la petite spéciale de nuit, je rentre soulagé de cette première journée et plus détendu aussi malgré la fatigue qui s’accumule.
Rester concentré
Le lendemain, et même si j’ai toujours en tête le souvenir du Mont Blanc 2012, on sait et on espère que ce sera une étape de gestion. Cette fois, côté pneu et au vu des températures polaires, on choisit sans hésiter les P01 et on embarque 2 roues de secours pour la sécurité. On attaque la journée par un magnifique calage mais aussi heureusement un nouveau scratch qui accroit notre avance à plus d’une minute. Le second, Delaporte, qui se gare à côté de nous sur la liaison suivante nous explique clairement que lui n’ira pas nous chercher et que sa seconde place lui va parfaitement pour entamer la saison. Info ou intox, toujours est-il que Florian semble serein et sait où poser ses attaques. Au départ de la suivante, mon cher pilote chantonne et plaisante, il est tout simplement bien mais rapidement le doute revient. Après les premiers kilomètres, la pédale de frein devient bizarre, plus longue, moins mordante et Florian m’en parle. Si bien que je me laisse déconcentrer et commence à perdre le rythme. Je tente alors de le rassurer en lui rappelant notre avance et la possibilité d’assurer, ce qu’il fait avec brio. C’est pire dans la deuxième et pas seulement pour les freins : à force de tout analyser et décortiquer, j’annonce bien trop tard une note dans la descente hyper piégeuse sur de la gravette et Florian me le rappelle avec un « Ooh Ohh !! ». Rappel à l’ordre brutal mais pas fatal.
Nous sommes toujours largement en tête, la seule bataille se joue à la troisième place à plus de 2min de nous. A l’assistance, les mécaniciens décèlent un souci de plaquettes prématurément usées et nous rassure sur l’intégrité du système en lui-même. Nous entamons très mal la dernière boucle puisque dans cette super spéciale piégeuse, nous effectuons un tête à queue à la première épingle gauche et la voiture peine à redémarrer. Elle finit par repartir mais nous laissons filer plus de 20s mais pas sur le deuxième. Ouf ! Nous effectuons les deux dernières vraies spéciales comme Cédric Robert aurait pu le faire, sur un bon rythme mais sans prise de risque inutile, à l’écoute du moindre bruit, en évitant chaque pierre mais toujours avec ce souci de frein qui persiste. Je rassure une nouvelle fois Florian sur notre position, d’autant plus quand on voit Giordano et Wagner garés sur le bord.
Maudit carnet
Dernière assistance, derniers kilomètres avant la délivrance, cette super spéciale ne doit être qu’une formalité. Mais au moment de sortir pour pointer, je ne retrouve plus mon carnet ! Je sais qu’il est là, quelque part, je commence à fouiller autour de moi, puis à m’agiter un peu plus, me détacher, pour finalement sortir et regarder derrière. La pression commence sérieusement à monter lorsque je rentre dans ma minute idéale. Et puis soudain, du coin de l’œil, j’aperçois un bout du logo du rallye sous le siège de Florian. Je plonge ma main et court jusqu’à la table pour ne pas être pénalisé. On pointe finalement largement dans les temps mais je n’avais pas besoin de ça ! Florian a su garder son calme et effectue cette tournée sur le front de mer à un rythme de sénateur pour assurer définitivement cette belle première victoire de la saison et les points du meilleur performer en prime, une délivrance.
Assumer le costume de favori n’est jamais simple mais Florian m’a bluffé sur sa capacité à être hermétique à cela et gérer sa propre course avant de regarder celle des autres. Son année 2017 face à Cédric Robert n’y est pas étrangère. Nous n’avons pas fait une seule égratignure à l’auto, pas une seule faute et c’était la plus belle des récompenses que nous pouvions faire à Frédéric Anne et toute son équipe qui nous ont fourni une auto exemplaire malgré un timing quasi impossible. Personnellement, je suis rassuré sur certains aspects qui sont revenus très vite mais conscient aussi que tout n’a pas été parfait comme j’aime que ça le soit. Maintenant je vais rattraper les heures de sommeil en retard. A non il faut préparer la Corse, tant pis alors !
Merci Victor. Très plaisant à lire.
Bons rallyes à venir et rendez-vous au prochain Carnet.
Cordialement
C’est cool Rallye-Sport toutes ces rubriques et interviews autour de la 1ère manche asphalte.
Avoir des pilotes et copilotes sympathiques qui prennent le temps de faire leurs retours est un apport intéressant à ce site.
Bravo à vous pour ces nouveautés. Un plateau de qualité et des articles variés ensuite. Vivement le Charbo !!