Mi-mars à l’issue du rallye du Touquet, on l’avait quitté sur une note victorieuse après son succès en Clio R3T Trophy aux côtés de Florian Bernardi. Pour ce nouveau carnet de note, Victor Bellotto est de retour pour vous faire partager son quotidien de copilote de rallye.
Pour ce deuxième épisode de la saison, le terrain de jeu est celui du rallye Lyon-Charbonnières Rhône, toujours avec Forian Bernardi et la Clio R3T de l’équipe Fred Anne Compétition.
La tête reposée après un week-end agité, Victor revient sur cette semaine riche en histoires et en sensations.
La confirmation
Nous n’avons pas vraiment eu le temps de rêvasser depuis notre première victoire au Touquet. Florian a retrouvé ses vignes et pour ma part j’ai enchainé sur le Tour de Corse comme coordinateur sportif pour l’équipe belge DG Sport engagée en WRC2. Déplacement qui s’est finalement avéré très court mais non moins stressant en organisation et préparation. Les aléas du sport automobile malheureusement.
Du coordinateur au copilote
On renfile le casque pour ce mois d’Avril avec la seconde manche du Trophée Clio R3T France au Rallye Lyon Charbonnières. Une épreuve que nous connaissons tous les deux pour y avoir déjà participé et que nous redoutons d’avantage que celle du Touquet : un parcours plus polyvalent, moins atypique que les routes du nord, beaucoup de pièges, de goudron noir, des spéciales corsées, une journée de samedi très chargée et une nouvelle concurrence expérimentée. Nous aurons fort à faire pour conserver notre leadership. Nous avions anticipé ce scénario en début de saison et c’est pourquoi une vraie séance d’essai avait été programmée le lundi précédent la course pour travailler en profondeur sur le setup de notre Clio. Une journée très productive avec notre équipe et Daniel Giroud de RTec qui nous a permis de balayer de nombreuses possibilités de réglages selon le profil de route et juste avant les reconnaissances. Idéal pour la confiance.
Recos plaisir ?
Ces longues journées qui avaient fini par devenir de véritables contraintes et des sources d’angoisse et de stress, se transforment finalement en échauffement d’avant course plutôt agréable. Ne faire plus que 2 passages avec une liberté totale dans le choix de l’ordre des spéciales à reconnaître est une bénédiction ! Tout le monde est mieux réparti sur le parcours, les riverains y prêtent donc moins attention et on ne passe pas nos journées à courir après l’heure de fermeture de la spéciale. On peut réellement prendre le temps de travailler entre les passages, se vider la tête pour être d’avantage concentré et même manger chez l’habitant. Merci Liloo ! La contrepartie c’est qu’on se sent très seul durant la journée (on a croisé 5 voitures de recos en 2 jours !), il n’y a quasiment plus de commissaires grâce au GPS et pour ceux qui découvrent le parcours, 2 passages c’est peu mais la survie des rallyes est à ce prix.
Pas des vacances
Contrairement au Touquet, nous avons pu cette fois nous reposer et travailler puisqu’en plus nous ne participions pas au shakedown le jeudi matin. Nous sommes volontairement partis d’un cahier vierge pour les notes afin de nous forcer à réinterpréter la route et s’entrainer pour la prochaine échéance surprise à la fin du mois. Echéance qui aura demandé beaucoup, beaucoup de préparation en amont, vive la logistique et ce jusqu’à la veille du départ. Notes au propre, travail des caméras, de vraies nuits de sommeil, du sport et même un peu de temps avec l’équipe à table le jeudi soir. On se demande presque si le lendemain on participera au rallye ! Une vraie différence par rapport au mois de Mars où nous tentions de tout finaliser jusqu’au dernier moment.
Notre heure de sortie du parc est prévue à 12 :05 en ce vendredi matin mais pas de grasse matinée : on en profite pour revoir encore une dernière fois les spéciales du jour et se mettre dans notre course. Je n’aime pas ce moment de flottement avant le départ, le sentiment d’avoir oublié quelque chose, de ne pas être prêt, de se tromper de cahier de note, cette sensation désagréable qui ne disparaît pas avant le départ de la première spéciale. Florian lui est impatient d’y aller, de jauger les nouveaux venus comme Boris Carminati et pouvoir ainsi appliquer la bonne stratégie. Ce qui est sûr c’est que côté météo, nous sommes gâtés. Pas un nuage à l’horizon est des températures estivales, un peu trop même. L’assistance à Villefranche est une fournaise pour l’équipe et on languit de retrouver un peu d’air sur le routier.
Premier coup dur
On profite de la liaison pour se remémorer cette spéciale de Ternand qui lancera la course, la plus courte du rallye mais certainement la plus redoutée par les pilotes avec cette première partie en forêt où il faudra à tout prix éviter les crevaisons. C’est à ce moment que je reçois des messages de Sébastien Poujol et Erik, notre responsable communication, qui nous préviennent que la spéciale est pour le moment neutralisée. On s’avance alors vers le départ pour constater qu’il y a effectivement beaucoup de voitures en attente. Primordial dans ces cas-là : ne pas relâcher sa concentration et oublier d’aller pointer ! Je rejoins donc la table de pointage volante et attend mon tour. Le thermomètre de la commissaire indique un splendide 41°C en plein soleil, vivement qu’on remonte dans la voiture ! On apprendra malheureusement que c’est Thibault Habouzit qui est sorti et que sa copilote a été blessée dans l’accident. L’ES est donc logiquement annulée et nous parcourons ces premiers kilomètres en liaison en prenant bien soin de valider nos notes.
Nouveaux adversaires
La seconde spéciale de Bibost n’est pas moins compliquée avec tous ces changements de direction et ses VO très piégeux. Nous attendons, ou plutôt nous cuisons au départ en attendant notre tour. Un sauna gratuit au milieu des vignes. Nous nous appliquons et roulons à notre rythme, sur un bon rythme. Florian me balance quelques corrections de notes mais elles sont déjà très bonnes. On s’applique dans les V0 et la gravette, on découvre déjà les premiers abandons et nous franchissons l’arrivée, impatients de connaître les temps de la concurrence. Comme au Touquet, on sait qu’il nous en reste sous le pied si besoin. Nous tenons notre premier scratch et comme attendu, Boris et Christiane sont déjà dans le bon wagon. Cela fait plaisir de retrouver Christiane Nicolet, une figure du rallye français, de retour dans un baquet après sa mésaventure l’année dernière et déjà en bagarre !
Faire le trou
La longue liaison nous ramène au regroupement d’Arnas puis à l’assistance de Villefranche. « Quand je pense que les mecs se plaignent de la liaison entre Montpellier et Saint Hypo ! » a dit un certains Boris. Nous ne changeons pas le plan pneus prévu et repartons pour la seconde boucle, bien décidés à creuser l’écart. Satisfait à l’arrivée de l’ES3, on s’étonne des écarts très faible entre les 4 premiers mais l’important est d’enchainer sur un second scratch. Peu avant Bibost, nous nous arrêtons sur le côté pour modifier quelques clics et installer la rampe de phare car le soleil se fait de plus en plus discret. Nos camarades nous imitent et nous nous retrouvons vite à 6 Clio sur le bord de la route à échanger sur la spéciale précédente. Je retrouve un peu l’ambiance que nous avions en Junior en 2012, les cheveux en moins et la barbe en plus ! Mais je dois tenir ce rôle de garde-fou du temps et de rabat joie lorsque je demande à mon pilote de se hâter. Nous arrivons limite au départ pour faire les pressions et se casquer, enfin dans mon référentiel. Florian vous dira « qu’on était laaaarge ! ».
C’est vraiment cet état d’esprit qui me fait un bien fou cette année : cette décontraction apparente qui cache en fait une très grosse préparation en amont et une confiance en ses capacités. Je trouve Florian très mature, beaucoup plus calculateur et analyste qu’avant car il connaît son auto, les rallyes, ses forces et il sait que son copilote et son équipe maitrisent leurs parties. Il se concentre sur son pilotage, son ressenti et roule avec une légère marge de sécurité qui nous permet de ne pas faire d’erreur. Il avait rarement eu ce « luxe » auparavant.
Nous enfonçons le clou dans cette ES par rapport à Poizot et Delaporte qui y sont moins à l’aise mais Carminati lui s’accroche avec brio. La dernière de la journée n’est pas la plus marrante mais bien la plus stressante vis à vis de la boulette. On plaisantait d’ailleurs sur le routier sur le triste record de Flo en matière de super-spéciale qui lui ont plus fait perdre de temps qu’autre chose. Et là miracle, il nous fait mentir et on aligne notre quatrième scratch de la journée et bientôt un cinquième lorsqu’on apprend finalement que le temps forfaitaire de l’ES1 a été recalculé en fonction des résultats de la journée. Notre avance grimpe alors à près de 17s sur Boris et Christiane et à plus de 38s sur le troisième. Mais le rallye commence vraiment demain.
Réveil difficile
Lorsque le réveil sonne à 5h00 ce samedi matin, je n’ai pas vraiment la sensation d’avoir dormi mais plutôt fait une sieste. Rentré à presque 23h, terminé la mise au propre des notes à 1h du matin, les yeux piquent à l’entente de la sonnerie. Je sais que cette journée sera très longue car elle a le profil type de la grosse journée du samedi en WRC, c’est pour dire. Mais il faut y aller comme on dit. Mini déjeuner, re-visionnage des cams et direction le parc fermé. A cette heure, il fait encore frais et la circulation est fluide jusqu’à Villefranche. Assistance, liaison, et bientôt départ. C’est maintenant qu’il faut être réveillé. Surtout que Lantignié n’est pas la spéciale préférée de Florian. Pourtant dès les premiers virages je ressens clairement qu’il se force à rouler à la limite de sa note, à perdre le moins de temps possible et ça va vite. Le choix de mettre des 21 derrière était le bon.
J’ai personnellement eu plus de difficultés à être régulier sur cette ES et ça m’énerve. Je ne fais pas encore assez confiance à mes sensations, au pilote et je cogite trop. J’essaye de tout analyser je ne sais pas pourquoi et du coup je suis moins précis que je le voudrais dans mon annonce. Ce n’est pas forcément très perceptible pour les gens de l’extérieur mais moi je le sais. Arriver machinalement à modifier son rythme selon le profil de l’ES sont des choses que je maitrisais et qu’il va falloir que je travaille. En fait sur ce rallye, j’ai eu beaucoup de mal dans tous les longs virages en aveugle à connaître précisément la sortie du virage, la vitesse de passage. J’avais toujours l’impression qu’on était trop vite ! Et comme ici il n’y a quasiment que ce type de virage, vous comprenez mieux mon ressenti. Je crois surtout que j’avais gardé mes impressions de la 4 roues motrices, qui utilisait d’avantage le train arrière avec un léger survirage. Dans une 2 roues pilotée à la limite de l’adhérence, il est bien plus difficile pour un copilote de sentir le début du sous virage et donc savoir si on est au-dessus du rythme.
L’important est que nous reprenons d’un coup 10s sur Boris, une petite surprise. La spéciale suivante, celle de Marchampt est la préférée de Florian et assez spéciale pour moi qui ai ma belle-famille tout proche, à Lamure sur Azergues. On tente le pari pour celle-ci de passer les deux 31 qui étaient devant à l’arrière afin de préserver nos 21. Grosse session de mécanique sous une forte chaleur et encore un pointage limite comme j’aime. Immédiatement, on sent que les 31 derrière sont compliqués à faire chauffer et on se fait une belle glisse en 4 dans la partie course de côte sur un des derniers droites qui ferme. Pas d’affolement car la route est large mais un avertissement pour la suite. Il y a beaucoup plus de grip dans la descente et Florian en profite. Un sacré morceau de 25km que nous avalons en moins de 14min et qui relègue notre plus proche adversaire à près de 13s. Encore une belle opération avant les spéciales de Saint Nizier et Thizy très piégeuses.
L’attraction du week-end
Après un passage par l’assistance éloignée de Lamure sur Azergues, nous nous retrouvons au départ de l’ES8 à tenter de sauver le bouc du paysan qui crie au secours. Le bougre s’est emmêlé les cornes dans les câbles et ses copines n’arrivent pas à le libérer. Florian, en ami paysan, va prévenir une dame qui finira par le libérer. Un point pour le paradis ! Puis c’est au tour de Seb Dommerdich et Emmanuelle d’être secourus. Ils trainent une casse de la butée d’embrayage depuis la veille et ils déploient des efforts colossaux pour rallier l’arrivée. Emmanuelle prévient les commissaires de la situation à chaque pointage, fait signe à Seb de venir puis lorsque la 205 arrive à la hauteur de la table, elle saute dans la voiture en route pour ne pas l’arrêter !! Une sacrée acrobate. Cette fois c’est à notre tour de la pousser pour la faire démarrer et les reposer un peu.
On aborde cette spéciale avec prudence car entre la partie dans les VO et la dernière très rapide et bosselée dans la forêt, il y a moyen d’en faire une. Mais Florian reste toujours aussi concentré et propre, sûr de ses notes et de l’auto. Et ça marche mais si dans l’auto il n’est pas satisfait de son travail, certains qu’on se fera « taper » dans celle-là. Pourtant on réalise notre 8ème scratch d’affilé et l’écart avec Boris et Christiane s’approche de la minute. D’autant plus que l’on sait que la plupart ont tous fait un tout droit, une marche arrière ou un tête à queue, ce qui veut dire qu’ils forcent quand même. Dans Thizy, et même si Florian et moi n’en sommes pas fans, nous accentuons encore notre avance qui touche la minute. Une matinée parfaite pour nous, sans fausse note, qui nous permettra d’aborder la dernière boucle de façon plus réfléchie.
Restés concentrés
Entre l’arrivée de l’ES9 et le départ de la 10, s’écoule de nombreuses heures de pauses et de routier et c’est là qu’il ne faut pas se relâcher. Dès la sortie de l’assistance, nous sommes piégés par un énorme bouchon mais je ne m’affole pas : je préviens immédiatement la direction de course qui connaît déjà le problème et me confirme qu’il n’y aura pas de pénalités. Je préviens également Josep, le responsable de la formule de promo pour qu’il fasse passer le message aux autres. Effectivement, au départ de la 10, j’arrive dans ma minute sans mettre préparer mais il y a quasi 10 voitures devant. Alors on souffle et on se concentre. A mon premier inter nous avons 5s de plus que ce matin mais le grip changeant et l’usure des pneus l’expliquent en partie. A l’arrivée, nous sommes 14s moins rapide que le matin mais signons quand même le scratch pour une petite seconde. Finalement tout le monde fait moins bien que le matin et on apprend même l’abandon de Delaporte sur problème mécanique, notre dauphin du Touquet.
A l’écoute du moindre bruit
Nous adoptons le rythme idéal dans Marchampt en ne concédant qu’une petite seconde sur le deuxième, en ayant de nouveau intervertit les pneus pour jouer la sécurité. Ou parce qu’on aime bien se vider de toute notre eau sous la combinaison peut être. D’ailleurs on aime tellement cela qu’au départ de la 12, Florian découvre une hernie sur un pneu avant et on décide alors de changer les deux par sécurité. Nous pointons dans 6 minutes … Opération réussie 10/10 et une idée dans la tête en moins. Dommage d’user 2 pneus neufs pour les deux dernières ES mais si on avait crevé on s’en serait voulu toute notre vie. On déroule dans ces 2 chronos pour décrocher notre deuxième victoire bonifiée d’affilée !
Quelle joie !
On y prend goût
Une victoire avec encore plus de saveur qu’au Touquet car on confirme face à une nouvelle concurrence et sur un terrain bien différent de la première manche. Encore aucune erreur, sauf un calage dans l’épingle de Saint Nizier, aucune égratignure sur la voiture et une confiance au plus haut. Cette arrivée signifie aussi que l’on peut confirmer la prochaine manche de l’ERC aux Iles Canaries qui aura lieu dans 2 semaines. Le moindre faux pas aurait remis en cause cette participation étant donné que la voiture doit partir des ateliers … demain ! Après tous les efforts mis en œuvre, cela aurait été très dur d’y renoncer pour tout le monde.
Je voudrais d’ailleurs remercier toutes l’équipe de Fred Anne Compétition qui nous a encore mis à disposition une voiture exemplaire de fiabilité, nos partenaires qui nous suivent dans toutes nos aventures, ma famille et ma belle-famille qui ont été d’un grand soutien pendant toute cette semaine et bien sûr ce cher Florian qui me redonne goût au copilotage et qui me conforte dans mon choix d’être sorti de la retraite. Pouvoir associer les mots victoire, travail, préparation avec amitié, plaisir et aventure humaine est un miracle auquel je ne croyais plus. Alors à vous tous un grand merci et rendez vous dans 2 semaines pour un récit qui promet d’être … exotique !
Bon rétablissement à Sandrine et à Thibault, on veut les revoir très vite.
Crédits Photos : Bastien Roux, DPPI, Philippe Beraldin
Merci pour ce beau récit, Victor. Et félicitations à Florian et vous pour cette victoire.
Bravo et merci Victor
Un bonheur de te lire
Bonne continuation sur le continent et bonnes découvertes des îles
A bientôt donc
Bise à vous deux