Denis Giraudet en grand format



Au même titre que certains pilotes, des copilotes ont marqué l’histoire du rallye et alors que la rubrique “Que sont-ils-devenus” va continuer pendant de longues semaines, il était temps de parler des hommes de droite.

Et pour mettre en lumière les copilotes, qui de mieux que Denis Giraudet pour s’exprimer sur Rallye Sport et répondre à nos innombrables questions. Ainsi, nous avons pu échanger un long moment avec Denis pour revenir sur une carrière extraordinaire et riche en découverte.

Denis Giraudet, né le 16/12/1955

Nombre de pilotes : Plus de 80
Nombre de rallyes : Plus de 500
Pilotes majeurs : Auriol, Kannkunen, Duval, Bugalski, Schwarz, Novikov

Comment es-tu devenu copilote ?

“Mon envie de devenir copilote de rallye est venu grâce à une rencontre au lycée. Je n’avais alors jamais vu un rallye mais un camarade de classe m’a proposé de faire un rallye. De mon côté, je rêvais plutôt d’être pilote de circuit. J’ai donc participé à mon premier rallye aux Cévennes 77. Le côté compétition ne m’avait pas encore séduit car nous n’étions pas vraiment performants mais l’ambiance m’a par contre beaucoup plu. Il y avait plus de monde en reconnaissances dans La Cadière qu’aujourd’hui en spéciale ! J’ai adoré la convivialité qui régnait sur le rallye entre les pilotes, les mécaniciens et les spectateurs. Quand je me suis retrouvé avec des mecs vraiment bons comme Gardère ou Pradelle, mon esprit a basculé vers la compétition.”


Quel est le plus beau rallye selon toi ?

“Le rallye de l’Acropole de manière générale. En Grèce, l’atmosphère est vraiment à part avec une communion totale. Les paysages sont superbes avec la mer et la montage ensemble. Les journées de rallye sont aussi spéciales, tu étais bien content de rentrer à l’hôtel au soir de chaque journée, c’était un sacré défi. Pour le plaisir sportif, je répondrais plutôt la Suède.”

Quel est ton résultat le plus marquant ?

“Quand nous avons gagné en Chine avec Didier, nous étions très contents. C’est un rallye que tout le monde découvrait, nous étions donc à armes égales. Tout le monde était réticent sur le plan de la sécurité et le feeling était assez bizarre. On a fait des rencontres exceptionnelles pendant cette épreuve.

Nous étions en bagarre avec Mäkinen et Burns, et Didier a été grandiose sur ce rallye. Il a piloté d’une manière incroyable et c’était un privilège incroyable d’être dans la voiture à ce moment là.

Il y avait un côté exclusif de se retrouver là. La remise des prix aussi a été grandiose en bas de la Muraille de Chine.”

Quelle est la première image qui te vient en tête quand tu penses au rallye ?

“La Suède de nuit avec les murs de neige. J’espère que c’est une vision que j’aurais avant de mourrir. C’est le pied total. C’est autant d’adrénaline qu’en Finlande mais avec moins d’anxiété grâce aux murs de neige.”

Quelle est ton année favorite ?

“Je ne suis pas quelqu’un de vraiment nostalgique. J’ai eu vraiment une très bonne année 2019 car le petit Solberg m’a sorti de la retraite…Depuis que je suis descendu du train du WRC après ma sortie avec Novikov en 2012, cela faisait du bien de retrouver une grosse auto. Avant cela, j’avais bien entendu pu retrouver le haut niveau avec Dumas, Bonato et Bouffier notamment. La terre me manquait et me retrouver avec une voiture aussi performante sur ce terrain aussi. 

J’ai été appelé un mardi soir à 20h pour arriver à Seattle aux Etats-Unis le lendemain, et finalement embarquer dans la Subaru le jeudi matin ! La voiture est légèrement plus puissante que les anciennes WRC et avec plus d’aéro, c’est très performant. À la fin du rallye, que l’on gagne en plus, j’étais content comme tout. C’était vraiment une satisfaction personnelle.”

Quel pilote t’as fait le plus peur ?

“Peur ce n’est pas vraiment ça. Mais sur les 80 pilotes que j’ai eu, seulement 2 ne m’ont pas plu. Et ils ont tous les 2 une chose en commun : ils font du culturisme. Avec Tsouloftas, c’était simple, il avait pris deux semaines pour reconnaître le rallye de Grèce et avait appris par coeur. Il ne m’avait pas écouté du week-end et j’ai refusé de rouler après avec lui. Et avec Abdullah Al-Kuwari, c’était la même chose, il n’écoutait pas et n’était en plus pas le gars le plus sympa du monde.”

Quelle sortie t’as le plus marqué ? 

“C’est un accident en reconnaissances avec Alain Oreille. On roulait avec une voiture sans arceau ni harnais, et on se retrouve face à une toupie de béton en face de nous. C’était au rallye Corte Ingles et heureusement, on a pu prendre le départ ensuite. En appelant ma femme, je lui ai dit “Mami je t’aime”, un terme qui m’a toujours porté chance ensuite lors de mes sorties et que j’ai toujours utilisé.”

Quel est le pilote avec qui tu as le plus rigolé ?

“C’est avec celui que j’ai le plus couru finalement : Didier Auriol.

Tu peux très bien t’entendre avec un pilote, alors qu’avec d’autres, ce ne sera pas le cas. Avec Novikov, nous étions comme deux larrons en foire, je me suis régalé rapidement avec lui. Nous étions complices, un peu comme dans une relation père/fils. Avec Duval, j’ai passé de très bons moments avec lui alors qu’il a été fortement critiqué sur le plan humain.”

Avec quel pilote tu as eu le “coup de foudre” ?

“Oliver Solberg. Je l’avais croisé dans les années Ford en 2011 et 2012 sur les assistances avec son père. Nous nous sommes revus sept ans plus tard autour du petit déjeuner aux USA. Et 30 min après, nous étions dans la voiture comme si de rien n’était.”

Avec quel pilote es-tu devenu le plus proche dans la vie ?

“Je m’entends très bien avec Auriol que j’ai une fois par semaine au téléphone, mais aussi avec Dumas et Mourgues.”

Quel pilote a été le plus caractériel ?

“François Chatriot. C’est le mec le plus incroyable au monde. Il est médecin radiologue, acteur/producteur de théâtre, et double champion de France. Il a une polyvalence extrême.

En 1 seconde, il peut passer d’un état normal à un état second. La découverte a été compliquée avec lui, il a fallu plusieurs jours pour bien s’entendre. Au début, j’ai cru qu’il allait appeler son ancien copilote pour me replacer. Avec Michel Perin, ils ont été les premiers à avoir un bon système de notes en France et il fallait s’adapter. Je devais comprendre que c’était un travail.”

Quel pilote t’as le plus impressionné ?

“Novikov m’a fait 2-3 trucs pas mal. Il n’avait pas une réputation fantastique, mais à 20 ans, il allait très vite. Avec Kankkunen et Auriol, tu t’attends déjà à que ce soit très bon, mais là avec Evgeny, c’était surprenant !”

Quel pilote avait le plus de talent pour faire une grosse carrière ?

“Je reviens un peu à la question d’avant. Il y a énormément de similitudes entre Duval et Novikov. Pour atteindre le niveau des Auriol, Kankkunen ou Loeb, ils n’ont pas compris qu’il fallait bosser. La vitesse ne suffit pas. Par exemple, Loeb décortiquait chaque run lors des essais pour voir les données à chaque moment. Jamais Duval et Novikov n’ont fait ça dans leur carrière. Aujourd’hui, il faut une parfaite compréhension de la voiture, contrairement à avant.

Mais je retiens qu’il est plus facile de faire ralentir un vite que de faire progresser quelqu’un qui n’a pas le talent naturel.”

Quel est le pilote avec qui tu voudrais refaire un rallye ?

“Didier. Nous nous sommes régalés au Tour de Corse Historique avec la Sierra, c’était un peu retour vers le futur avec les amis et la famille. On aurait voulu fêter l’anniversaire de la victoire de Didier par une participation avec une WRC l’année d’avant, mais c’était impossible de trouver une assurance pour une auto de 700 000€. Malcolm Wilson nous avait pourtant fait une sacrée offre.”

Quel a été le pilote le plus compliqué à vivre ?

“Bryan Bouffier, c’est une personnalité complexe. Avant d’avoir trouvé la clé, il faut longtemps chercher et je ne l’ai pas vraiment trouvé. Peut-être que Xavier Panseri l’a gardé pour lui. On a quand même fait de bonnes performances ensemble, c’est quelqu’un de très pointu.”

Quel est ton habitacle préféré ?

“Celui de la Toyota ST185 avec Kankkunen. C’est une belle bagnole, et l’avantage d’être dans un coupé, c’est d’avoir beaucoup de place à l’avant, j’étais très bien dedans.”

Quelle est ta voiture préférée ?

“La Lancia Martini de 1992. Quand tu montes dans une telle voiture en rallye, c’est comme de se retrouver dans une Ferrari en F1.”

Quelle est ta combinaison préférée ?

“Celle de la Porsche Cayman pour l’ouverture du rallye d’Allemagne. Avoir une combinaison officielle Porsche, ça m’a fait quelque chose !”

Quelle est ton équipe préférée ?

“Toyota, notamment grâce à Ove Andersson, un sacré personnage.”

Ton abandon le plus con ?

“Le Corse 2003 avec Auriol. Entre le CH et le départ du tout premier chrono, on se retrouve avec un boîtier électronique en panne à cause d’un problème de chauffage. C’était terminé car nous n’avons pas la possibilité de lever le capot, car c’est interdit alors qu’un boîtier de secours est disponible à l’avant. Donc sur le coup, c’est vraiment un abandon très bête…”

Ton abandon le plus cruel ?

“Le Forez 1996 avec Gérard Pradelle. On pète un cardan au bout de 200m avec sa Peugeot 205 GTi. C’était une spéciale à 10 min de chez moi.”

La sortie la plus conne ? 

“J’en ai deux qui me viennent en tête. A chaque fois, on m’avait briefé avant le départ pour bien faire comprendre à mes pilotes (Nicolas Vouilloz et Denis Radström), qu’il fallait absolument rejoindre l’arrivée.

Avec Nicolas, on sort dans la première spéciale avec des tonneaux en première et avec Thomas, on sort dans la première étape aussi. Je n’ai pas été bon sur ce coup.”

Ta plus grosse erreur ?

“Pour différentes raisons, on est arrivé avec 3 minutes de retard à un CH avec Didier au rallye de Nouvelle-Zélande en 2003. Nous étions à la cinquième place avec la Skoda, ce qui était assez incroyable à l’époque. On a une durit de turbo qui pète dans l’avant-dernier chrono alors que nous étions en bagarre avec Mäkinen. Sur le routier, bien fatigué par tout ça, je m’endors en disant à Didier de prendre une sortie sur l’autoroute. Il me réveille en me demandant quelle était la sortie et c’était déjà trop tard. Pour reprendre la bonne route, il a fallu prendre la sortie de l’autoroute à l’envers, mais aussi griller des feux rouges, tout en passant au milieu de travaux. On arrive à 13h04 au CH mais je dis 13h01 au pointage et la personne qui contrôlait n’a pas vérifié car les concurrents pouvaient pointer en avance à cet endroit. Peu de temps après, je me suis dit : “Si jamais on prend cette pénalité, je me retire du sport automobile”. J’ai attendu le classement officiel avec inquiétude mais il n’y avait aucune pénalité. Cela m’a finalement coûté une bonne bouteille au restaurant.”

Tes reconnaissances les plus loufoques ?

“L’Indonésie 1996. Encore un rallye qui n’a pas existé longtemps en WRC. J’ai roulé avec le fils d’un milliardaire, un gars un peu chiant et étudiant à Harvard. Il est arrivé aux essais en Allemagne après avoir pris le Concorde puis un jet privé vers Cologne. Il a toujours été fan de Kankkunen et voulait donc rouler avec la Celica et son copilote. Nicky Grist était indisponible alors j’ai pris sa place.

C’est un pays très peuplé et c’était la pagaille sur la route. On a roulé comme des fous pendant les reconnaissances, à 150 km/h parfois, et on a sans doute fait tomber un paquet de vélos chargés comme des mules sur le bord des routes. C’était  fou, on a fait un rallye de malade. Au final, on termine à un très bonne 5e place, mais derrière nous, c’était une groupe N.”

Ta rencontre la plus mémorable ?

“L’Indonésie 1997 encore. On venait d’abandonner avec Didier et nous sommes arrêtés à côté d’une plantation de thé. Un mec se pointe avec sa petite fille dans les bras et avec un papier marqué : “Est-ce que je peux avoir une montre”. En tant que copilote, j’avais logiquement deux montres. Comme nous avions abandonné, je n’ai pas hésité, et je lui ai donné les deux.”

Un regret peut-être ?

“De mettre fait mal au dos en Finlande avec Evgeny. Je pense qu’il y avait moyen de le faire aller plus haut. Il avait un problème avec son comportement de tous les jours et je pense que j’avais une bonne affluence sur lui. Ilka Minor était en avance pour moi sur le travail des notes, mais je pense que je pouvais lui apporter autre chose.”




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Sylvain
Sylvain
4 années il y a

Interview fabuleuse, plein de belles questions et de belles réponses, MERCI.

Bert
Bert
4 années il y a

Toujours un plaisir de lire Denis ! Bon par contre rallye-sport comme tous les autres médias n’auront jamais compris qu’il parle de “ma mie”, sa femme, sa moitié ! Pour l’abandon avec Pradelle 200 mètres après le départ j’y étais et je me souviens l’avoir vu redescendre au départ déterminé en marchant le long de la route malgré les autos de course qui passaient. Il rigolait pas ! Et puis j’étais en Finlande quand il était tout cassé suite à ses sorties avec Novikov et on en a plaisanté devant une bière. Bref, un grand Monsieur, qui s’est excusé de… Lire la suite »