En ce début de saison marqué par l’arrivée de l’hybridation en WRC, il était temps de creuser davantage le sujet en faisant appel à “notre” ingénieur, Cédric Mazenq.
Alors que les nouvelles Rally1 seront en action pour la première fois en compétition cette semaine, nous avons donc tenté de répondre à un maximum de questions au sujet de cet ajout technologique majeur pour la discipline.
Longtemps ingénieur WRC au sein de l’équipe Citroën Racing notamment, Cédric Mazenq, fondateur et président de Race Group, est votre guide dans cet article ! Au cours de la saison, nous n’hésiterons pas à éclaircir d’autres sujets avec lui. Et si vous êtes à la recherche de missions en sport mécanique, Cédric sera prêt à vous guider grâce à sa société.
Est-ce qu’en terme de pilotage, l’hybridation change beaucoup de choses pour les pilotes ?
“C’est une évolution c’est certain, mais ce n’est pas un grand changement pour eux dans le sens où ils n’ont pas beaucoup de leviers d’action sur le déploiement de l’extra-boost. Le pilote n’agit pas vraiment sur la manière dont le système hybride fonctionne. Cette nouvelle technologie permet de combiner une puissance thermique et une puissance électrique sur les phases d’accélération. Seule action possible, le choix de la map en début de chrono, qu’il sera d’ailleurs interdit de changer en cours de spéciale. Les maps sont au nombre de 3, et agissent à la fois sur le déploiement de la puissance en phase d’accélération et sur la régénération de l’énergie en phase de freinage. Ces 2 aspects vont tout de même influer sur la façon de piloter, car les 2 paramètres sont liés : plus on fait de « regen » (régénération), plus on a d’énergie à déployer sur les accélérations suivantes. On peut imaginer que les pilotes puissent augmenter leur zone de freinage volontairement pour profiter de plus de boost sur l’accélération qui suit. De même la « régen » va influer sur le comportement de l’auto en phase de freinage, car c’est un couple freineur supplémentaire qui s’additionne à celui des freins traditionnels, un peu comme un frein moteur plus important. Pour les pilotes, cet ajout de puissance est quand même très agréable avec de belles sensations. Cela représente 100 kW (ndlr : 134cv) de plus à certains moments et donc un moteur de près 530 cv lors des accélérations ! C’est non négligeable, et peut emmener un plus pour le spectacle. L’autre paramètre indirect qui va agir sur le pilotage, c’est la masse supplémentaire de la voiture : la masse mini 2022 est 70kg plus lourde que la précédente réglementation 2017.”
Le pilote peut donc tout de même agir sur l’exploitation de cet extra-boost avec des mappings différents. En quoi ça consiste ?
“Comme dit auparavant, il y aura trois maps différentes qui seront plus ou moins agressives. Le pilote pourra choisir le meilleur mode sur son volant avant le départ des spéciales. En fonction de la surface et du profil, le pilote pourra alterner entre différentes utilisations de l’extra-boost. On peut imaginer le premier niveau (le moins agressif) pour des surfaces très glissantes où le pilote ne peut pas exploiter toute la puissance. Ce sera le cas par exemple au Monte Carlo si les conditions sont délicates. Les 2 autres maps seront proportionnellement plus agressives, et il sera possible de rouler avec la map la plus agressive qu’à conditions d’être en capacité de passer toute la puissance au sol. La température, le profil de l’ES, le grip général voire l’état des pneus seront des paramètres à considérer pour faire le bon choix, d’autant plus que le choix est fait pour l’entièreté de chaque spéciale.”
Tu as parlé de quantité d’énergie exploitable par spéciale. Comment ça marche ?
“En fonction de la longueur des spéciales, la FIA spécifie la quantité d’énergie disponible en kJ (kilojoules). Entre 100 et 240 kJ par spéciale selon la longueur par exemple au Monte Carlo. Bien évidement, on aura donc des fluctuations de consommations de boost selon les spéciales. En réalité, les spéciales les plus courtes permettront d’utiliser une quantité d’extra boost supérieure relativement à la longueur de l’ES, et les spéciales très longues le contraire. Les extra boosts les plus puissants auront donc lieu dans les ES les plus courtes ! Seul point commun, les 10 premières secondes de chaque spéciale permettront d’utiliser le maximum d’’extra-boost, mais au moindre relâchement de l’accélérateur ou freinage, ce sera terminé.”
Comment régénérer cette énergie ?
“Déjà, à chaque départ de l’assistance, les batteries seront chargées chargés au maximum autorisé par la FIA (entre 80 et 100% selon le profil des boucles sur les différents rallyes). La capacité de stockage étant faible, et l’autonomie de la batterie aussi, il suffit donc de moins de 30 min pour complètement recharger le pack batterie. Dans les spéciales, les pilotes vont pouvoir régénérer à chaque freinage/décélération, plus ou moins en fonction de la map sélectionnée. Sur les liaisons en revanche, ils essaieront de régénérer au maximum en sachant que le boost sera bien sûr désactivé. Donc toutes les voitures seront optimisées pour récupérer le maximum d’’énergie en routier, et se présenter au départ de la spéciale suivante avec une batterie rechargée au maximum.”
Est-ce que des pilotes pourront profiter de cette réglementation pour faire des différences ?
“Difficile à dire. La gestion de l’énergie rajoute une dimension supplémentaire au pilotage, même si ce système reste assez automatique et ne demande pas beaucoup de nouvelles actions de la part du pilote, comme ce peut être le cas en LMP1, Formule 1 ou Formula E. Cependant, les pilotes les plus malins, capables d’appréhender au mieux cette nouvelle donnée pourrait tirer leur épingle du jeu. Il pourrait s’agir plutôt des pilotes de la nouvelle génération, plus habitués à la technologie, via les simulations ou autres. Je pense personnellement que les différences se feront surtout entre les teams, comme ce que l’on peut voir en F1 avec des groupes de voitures par niveau. On a pu voir des développements différents entre chaque constructeur donc il va être intéressant de voir comment cela se traduit en spéciale. Ce seront ceux qui ont le mieux travaillé pour intégrer cette nouvelle donne sans trop dénaturer l’ADN du pilotage qui seront les plus avantagés.”
A quoi ressemble cette unité hybride implantée dans chaque Rally1 ?
“Elle est strictement identique dans chaque voiture avec un sous-traitant unique Compact Dynamics. C’est en fait un caisson carbone scellé de près de 87 kg qui comporte une batterie de 3.9 kW/h, le moteur électrique de 100kW et tout le système de contrôle. Il est situé entre les sièges et les roues arrière, le plus bas possible. Cela a été un sacré challenge pour les équipes pour la positionner dans la voiture. Le nouveau dessin du double arceau inauguré cette année a aussi été réfléchi pour protéger cette entité, mais également pour la sécurité globale de l’équipage, notamment sur les chocs latéraux qui sont à ce jour les plus dangereux. Il faut féliciter la FIA pour ces avancées significatives, même si cela a entraîné un véritable casse tête pour les ingénieurs en termes de réaménagement intérieur : il a fallu notamment replacer les roues de secours, la position des casques, la position du baquet des copilotes également, moins bas que ce qu’il pouvait être dans une WRC 2017 par exemple.
Il faut vraiment souligner que cette unité hybride reste « petite » : la capacité de la batterie est faible par rapport à ce que l’on peut voir dans les autres sports mécaniques utilisant l’électrique. C’est seulement un extra-boost, et l’autonomie full électrique est d’une vingtaine de kilomètres grand maximum. Il n’y aura que quelques zones EV (ndlr : 100% électrique) sur la totalité d’un rallye, autour des zones d’assistance et des zones de changements de pneus.”
À l’heure actuelle, que peut-on dire entre les performances des voitures 2017 et 2022 ?
“Il y a clairement plein de choses qui font qu’elles seront moins performantes et nous en avons déjà parlé il y a plus d’un an ici (poids, aéro, plus de diff central, débattement limité….). Mais il faut aussi dire que les moteurs seront beaucoup plus performants avec parfois plus de 500cv sur certains laps de temps. Donc en fonction du profil des spéciales, les performances seront très proches avec les WRC 2017. En tout cas, je ne crois vraiment pas que les Rally2 pourront être plus rapides que les Rally1 comme certains le laissent penser.
Je soutiens toujours cette nouvelle réglementation car le WRC se devait de passer à minima à l’hybride par rapport au marché actuel et à l’évolution de l’automobile de série. Cette réglementation sera un succès surtout si elle permet d’attirer de nouveaux constructeurs, même si actuellement, la priorité semble d’essayer déjà de garder les constructeurs actuels ! Par rapport à l’évolution et le virage qu’est en train de vivre l’automobile, il est donc logique d’avoir cette nouvelle réglementation, et normal qu’elle soit sur un cycle de trois ans. Je ne vois par contre pas comment un constructeur pourrait rejoindre le WRC dans les deux prochaines années, sans avoir été à la genèse de cette réglementation, même si j’espère me tromper ! Avec l’inconnue de cette nouvelle réglementation technique et le nombre de voitures engagées par constructeur, on peut espérer quand même avoir de belles bagarres cette saison. .
Il est facile de taper sur la FIA, mais ils ont cherché à atteindre le meilleur compromis. Conserver des voitures avec du bruit et du thermique, c’est déjà un step important pour cette discipline, qui est une des disciplines du sport auto la plus populaire. En termes d’émissions et de respect de l’environnement, on est quand même carrément loin du compte, puisque le bilan carbone ne sera pas nécessairement beaucoup mieux que la réglementation 2017. Mais c’est une équation globale, à la fois technique, politique et sportive, alors réjouissons nous d’avoir une nouvelle saison excitante qui démarre ! L’arrivée des bios carburants est aussi adoptée dès cette année, et cette manne est un espoir réel pour éviter ce que les puristes redoutent dans le futur : le tout électrique.”
Que penses-tu de la sécurité des nouvelles Rally1, notamment vis à vis des spectateurs ?
“C’est nouveau en rallye et les gens sont craintifs, c’est normal. L’hybridation est en place depuis de nombreuses années en F1, FE et au Mans, c’est une technologique déjà maîtrisée en sport mécanique. La nouveauté et la crainte, c’est la proximité directe avec le public en spéciale. Mais il faut rester rassurant. Une sortie de route ne va pas automatiquement détruire la cellule hybride, on l’a vu en essais avec des sorties pourtant spectaculaires. Il y aura peut-être des cas extrêmement rares où la LED passera en rouge, et où il faudra être prudent.”
Lors des essais, on a pu voir deux énormes sorties. Est-ce que c’est inquiétant pour le reste de l’année ?
“Il y a beaucoup de facteurs qui rentrent en compte. C’est le début d’une nouvelle réglementation, les voitures ne sont pas optimisées, ce sont encore « des brouillons » et ce sont des autos un peu plus difficiles à conduire. Pour des essais Monte-Carlo, les conditions ne sont pas forcément évidentes non plus et les pilotes sont plus sous pression avec l’arrivée de cette réglementation. Je ne crois pas que ce soit annonciateur de plus de sorties de routes à prévoir, mais plus contextuel “
WRC+ va normalement afficher la quantité de charge des batteries pendant les directs. Comment ça va marcher ?
“On peut penser que ce sera comme en Formula E en donnant la quantité d’énergie restante des batteries dans chaque voiture au fur et à mesure de l’avancée des spéciales, on parle de SOC (ndlr : State of charge). Ils vont probablement scénariser un peu tout ça et on aura une idée de l’utilisation du boost par les pilotes, et quelques différences qui nous permettront de décrypter un peu mieux les stratégies des équipes. “
Au-delà de la quantité d’énergie spécifiée par spéciale par la FIA, est-ce que les ingénieurs pourront jouer sur d’autres paramètres ?
“Il y aura forcément une gestion différente et optimale de l’extra-boost après chaque accélération. Le but étant de repartir la quantité d’énergie au mieux sur la durée de la spéciale (et aux bons endroits !) et de définir une map d’énergie en fonction des spéciales. Mais la FIA veut réglementer tout ça. Ils ont même modifié le règlement au niveau des reconnaissances en accordant un seul passage aux représentants des teams pour éviter de récolter trop de données. Les équipes peuvent par contre encore évidemment se servir des données récoltées par les équipages avec les voitures de recos… En circuit, la gestion de l’énergie se fait quasi automatiquement en fonction de la simulation et de la position de la voiture sur le tour. En extrapolant, les ingénieurs pourraient potentiellement tenter de définir une cartographie par spéciale. Par exemple, sur une spéciale de 10 km avec une portion de 6 km rapide mais avec de nombreuses relances, il serait intéressant d’exploiter au maximum l’extra-boost dans cette zone plutôt que sur la dernière portion de 4 kms très sinueuse… Mais comme je le dis, là j’extrapole… (Déformation professionnelle !) Tous ces sujets resteront donc à découvrir au fil de la saison !”
les 037 changeaient de pneus en es
les wrc 22 s’arreteront a mi speciale pour recharger
5 mn , bienvenue dans la quatrieme dimension
La planète ne remerciera pas le sport automobile, même s’il n’est qu’un tout petit pollueur. La nouvelle réglementation, bien difficile à comprendre, permet juste de continuer sa pratique. On est dans l’image. Le bilan carbone 2022 sera proche de celui de 2021, c’est dit dans l’article. De futurs progrès permettront peut-être de réduire son impact avec plus d’efficacité. En attendant, ce Monte-Carlo promet d’être intéressant