Sur un rallye où il avait décroché son meilleur résultat en carrière l’an passé (5e), Adrien Fourmaux a connu beaucoup moins de réussite cette saison.
Après une première boucle du vendredi prometteuse, le Français a vu ses espoirs de décrocher un bon résultat s’envoler après la casse d’un différentiel. Le lendemain, c’est cette fois une suspension qui a amené le pilote M-Sport a renoncé très tôt. Heureusement, Adrien a pu terminer son rallye par une dernière journée sans problème et de bons chronos.
À l’issue de cette nouvelle épreuve, le Nordiste nous a une nouvelle fois confié ses impressions après son week-end de course.
Bonjour Adrien. Ce rallye du Kenya aura été très éprouvant et difficile pour toi. Tout avait pourtant bien commencé !
“Le Kenya…c’est le Kenya, c’est un rallye à part dans le calendrier. C’est un rallye difficile pour la mécanique, et aussi pour le pilote qui doit varier son rythme en fonction des difficultés. Il faut savoir lâcher à certains endroits et attaquer dans d’autres.
On avait une bonne approche le vendredi, nous étions dans le bon rythme à une vingtaine de secondes du podium après la première boucle. J’avais notamment fait un temps intéressant dans la première spéciale (4e chrono), celle-ci me va bien comme l’an passé.”
Et dans l’ES4, le début de la galère commence.
“Dans cette spéciale, on a le différentiel arrière qui explose sans avoir eu un impact particulier. Ce n’est pas quelque chose que l’on rencontre souvent, c’est même extrêmement rare. Il avait peu de kilomètres (60). Il va être analysé dans les jours à venir mais pour l’instant, la source de la casse est inconnue. Nous n’avons jamais eu de problèmes pendant les essais avec beaucoup plus de roulage.
J’ai ressenti des vibrations à l’arrière. Au début, j’ai cru que j’avais des problèmes moteurs, comme par exemple rouler sur trois cylindres. Mais les vibrations étaient de plus en plus fortes et avec un bruit de plus en plus métallique. La voiture se comportait encore assez normalement. Nous nous sommes arrêtés pour voir ce que ça pouvait être, mais on a rien vu d’évident. On a essayé de réparer sur le routier. On se demandait si on ne pouvait pas rouler en deux roues motrices, mais on a vite vu avec l’équipe qu’il ne serait pas possible de passer la zone de fesh-fesh. Avec une Rally4 bien réglée, c’était jouable, mais pas avec une Rally1 qui n’est pas conçue pour ça. Donc l’équipe m’a dit que c’était terminé pour aujourd’hui.”
Le lendemain, ta journée s’arrête malheureusement très tôt.
“On avait tout perdu la veille donc on avait vraiment en tête de simplement rouler. Il n’y avait plus rien à jouer, il fallait accumuler les kilomètres.
Sur une partie étroite, j’avais une note “Pas corde” pour éviter une pierre. Je m’en écarte, mais un peu trop et on touche finalement une pierre à l’extérieur. On crève sur le coup et on change la roue. On roule ensuite 5 km sans aucun problème. Après un gué puis un virage vachement creusé, le bras de suspension a cassé. La pierre avait tapé le bord de la jante et l’a cassé. Le bras a été fragilisé sur l’impact sans l’amortissement du pneu.
En liaison, on a longtemps travaillé pour repartir. On a bien tenté de réparer mais une vis récalcitrante nous a empêché de repartir. Comme on avait cassé le différentiel arrière la veille, il ne fallait pas endommager celui-là car nous étions limités à deux différentiels sur cette épreuve (parfois cette limitation est étendue sur deux rallyes). Cela aurait signifié notre abandon définitif sur cette épreuve. Le changement du bras de suspension a été plus long que prévu mais nous n’avons pas réussi à remettre le cardan ensuite. On pouvait rouler avec trois cardans mais le différentiel aurait été endommagé.”
En arrivant à l’assistance, tu vas vite te retrouver à réparer ta voiture avec ton copilote Alex Coria. Comment cela s’est passé ?
“Dès que je suis arrivé à l’assistance, Malcolm est venu me voir et m’a dit que si je voulais rouler dimanche, je devais bosser avec Alex sur la voiture. Comme moi, Alex a passé quelques jours à l’usine pendant l’hiver pour apprendre différents changements de pièces sur la voiture et nous étions donc préparés à ce genre de choses !
Mais là, il ne fallait pas seulement réparer l’arrière de la voiture mais aussi tout remettre à neuf pour le lendemain. On avait bien évidemment des conseils des mécaniciens. Gus a fait pareil de son côté avec son copilote. En blaguant après le rallye, j’ai dit que quand on travaillait et préparait la voiture, tout se passait bien ensuite !”
Justement oui, le dimanche a été bon pour toi.
“Déjà, la spéciale d’Oserian me plaît bien (scratch au 1er passage, 2e temps dans le 2e). J’avais déjà été à l’aise l’an passé. Tu peux énormément jouer avec la voiture dans cette spéciale et il y a moins besoin de prendre des risques. C’est une spéciale assez comparable à ce que l’on trouve en Europe.
Dans la Power Stage, il y avait plus de rails et de sable. On devait énormément s’engager et j’ai pris moins de risques. Avant le début de la journée, Malcolm m’avait clairement dit de rejoindre l’arrivée afin de ne pas revivre les problèmes des deux premiers jours.”
Que penses-tu des zones de fesh-fesh assez critiquées cette année ?
“Pour moi, cela fait partie du Kenya. Mais comme on ne sait pas ce qu’il y a en dessous parfois avec des rochers cachés, ce n’est pas évident. Dans le fesh-fesh, le sable peut rentrer dans les boîtes à air. De notre côté, nous n’avons pas eu ce problème. Cela dépend énormément de ta façon de rouler, si tu te décales des rails ou non. J’avais tendance à m’en décaler, c’était un compromis à trouver entre performance et fiabilité. Certaines voitures sont aussi plus sensibles à ce phénomène en fonction de leur conception, si elles ont tendance à piquer ou non de l’avant, et de l’emplacement des prises d’air.
Dans l’homologation, les teams avaient le droit de mettre des snorkels (“tuba” pour permettre au moteur de respirer) comme à l’époque. Les pare-buffles étaient aussi autorisés. Mais il y a 20 ans, les équipes avaient la possibilité de faire des tests directement au Kenya et de valider ces pièces. L’an passé, personne n’avait eu de soucis avec se sable, mais cette année, les zones de fesh-fesh étaient plus lentes et plus longues. Ce sont aussi probablement des questions de coûts de développement et de priorités.”
Pendant cette épreuve, la Puma a été touchée par différents problèmes mais surtout par des casses de bras de suspension. Est-ce qu’il y a un défaut majeur sur cette pièce ?
“Il faut savoir que j’ai roulé pendant 4-5 jours l’an passé à Fontjoncouse pour tester la résistance de la voiture et notamment de cet élément. J’ai cassé des choses mais pas de bras de suspension. Je faisais pourtant exprès de rouler sur des pierres par exemple et je ne ménageais pas la voiture avec des pistes faites parfois pour du rallye-raid ! Au Kenya, toutes les voitures ont cassé un bras de suspension sauf celle de Gus je crois. Qu’est-ce que l’on a manqué ? Je n’ai pas encore la réponse. C’est forcément un point de travail en vue du rallye de Grèce. En Estonie et en Finlande, ça devrait aller, c’est moins contraignant. Il faudrait peut-être juste des protections supplémentaires, je ne sais pas. Je fais confiance aux ingénieurs pour trouver des choses. Il faut voir ce qui peut être homologué aussi avec la gestion des jokers, j’avoue ne pas trop maîtriser tout ça.”
Maintenant, direction l’Estonie pour toi. Quand débutes la préparation ?
“Je vais rouler en Estonie ce samedi et chaque pilote aura normalement une base différente. Je dois rouler en premier et si ma mémoire est bonne, ce sera Craig, Gus et enfin Pierre-Louis. Dès le Kenya terminé, on a pu discuter des premiers réglages avec mon ingénieur chassis et voir comment on voit les choses avant de démarrer.”
Grossièrement, comment une voiture doit et peut être réglée pour l’Estonie ?
“Pour le Kenya, il fallait un maximum de garde au sol. En Estonie, on doit rouler beaucoup plus bas, à environ 5 ou 7 cm plus bas. Et l’aéro est extrêmement sensible à cette garde au sol. Il faut trouver un bon compromis.
Les ressorts et amortisseurs sont beaucoup plus durs. Il faut trouver du grip tout en ayant de la précision. Pour les différentiels, ce sera sans doute un peu différent.
Pour revenir à l’aéro, les réglages peuvent tout changer en jouant sur les différences de garde au sol à l’avant et à l’arrière. Chaque année, on peut voir des grosses différences en fonction des voitures et même des pilotes. Globalement, il faut une voiture hyper précise du train avant, tout en trouvant du grip.”
Quel est ton avis sur ce rallye d’Estonie ?
“Je me sens bien sur ce rallye. Je l’ai fait trois fois. D’abord en Rally4 puis deux fois en WRC2 avec à chaque fois des temps intéressants pour moi. J’aime bien, on va voir ce que ça donne avec cette voiture. La Fiesta n’était pas forcément au mieux sur ce terrain, on verra ce que ça donne avec la Puma. Ce qui est très positif cette année, c’est vraiment d’avoir Craig avec nous, j’ai déjà pu échanger avec lui et on le fera surtout en essais. C’est une sacrée référence sur ce profil de rallyes.”
Enfin, revenons un peu sur le Kenya, pas du rallye en lui-même, mais plus du pays. On en a déjà beaucoup parlé dans la chronique de l’an passé, mais cette fois, tu as une anecdote que tu souhaitais partager.
“En effet. J’étais sur le routier en reconnaissances. Et lors d’une montée , je vois une jeune femme portait des branches de bois sur son dos. Elle est tombée à la renverse au moment où nous étions presque à sa portée. Je n’ai pas pu m’empêcher de m’arrêter, vérifier si elle allait bien mais nous étions déjà 30 mètres plus loin. Après un arrêt de quelques secondes, j’ai décidé de rebrousser chemin et de lui porter soutien. Elle était en pleurs, je lui ai proposé de l’aide mais ne me répondait pas, je pense qu’elle avait peur. Finalement, des locaux sont arrivés et elle a commencé à se relever et sourire, j’étais soulagé. Et on a repris notre route. Dans ces moments là, tu réalises que tu n’as pas le droit de te plaindre lorsque les choses ne vont pas toujours comme tu le souhaites.”
Et si la chute de cette jeune femme était pour lui un tournant dans sa façon d’aborder les choses.
Cet événement ‘anodin” semble l’avoir marqué pour qu’il en parle ici.
Moi j’aime bien ses “à côté” qui nous permettent de percevoir l’humain derrière le pilote.
Interview passionnante, comme d’habitude, merci! Un petit passage sur un des thèmes qui nous a intéressé durant ce rallye : Safari oui, Safari non… passé, présent. “Mais il y a 20 ans, les équipes avaient la possibilité de faire des tests directement au Kenya et de valider ces pièces. (…) Ce sont aussi probablement des questions de coûts de développement et de priorités. (…)Je fais confiance aux ingénieurs pour trouver des choses. Il faut voir ce qui peut être homologué aussi avec la gestion des jokers, j’avoue ne pas trop maîtriser tout ça.” Si les écuries ne vont plus faire… Lire la suite »