Encore une fois présent sur les spéciales du rallye Monte-Carlo en tant que spectateur, Jeff est revenu sur sa dernière expérience au coeur de la course au cours d’un récit dont il a le secret.
Je suis nostalgique des « vrais » et grands Monte-Carlo, de ceux qui ont fait le prestige et la légende de cette épreuve. Je suis souvent extrêmement en colère contre la FIA, l’ACM ou les constructeurs…Quand j’ai pris connaissance du programme de l’édition 2023, je n’étais pas très motivé pour me rendre en spectateur sur mon 27ème Monte-Carlo… La première chose qui m’a frappé, c’est la longueur des spéciales : le plus long chrono ne fait que 24,9km… Mais je vais être honnête avec vous, même amputé, même raccourci, même dénaturé, le Monte-Carlo exerce toujours sur moi une irrépressible attirance, une fascination particulière. Le parcours de la 91ème édition se concentre et se contente des Alpes-Maritimes et des Alpes-de-Haute-Provence, certes, mais ce sont des régions splendides aux routes magnifiques !
Pour les équipages, acteurs et « spect’acteurs » de rallyes, cette discipline est tout d’abord un voyage. C’est une expérience, un périple, une expédition parfois. Ce sont surtout des rencontres et de grands moments de partages. Malgré mon scepticisme, je suis revenu du Monte-Carl’ avec les yeux qui brillent, d’incroyables images et de merveilleux souvenirs. La passion est toujours là, quelque part, mais elle se mérite. Il faut être un peu cinglé pour marcher des heures, attendre dans le froid, greloter sur un talus pour quelques secondes d’adrénaline. L’ACM a eu le mérite de proposer un parcours renouvelé, sélectif et varié en dépit de son extrême concentration. Et ce n’est pas facile en 2023 ! La plupart des spéciales arpentent de merveilleux paysages et subsistent aussi quelques chronos de nuit. A l’inverse de ce que j’ai beaucoup lu ou entendu, les commissaires et officiels du rallye se sont montrés prévenants avec nous. Nous arrivons toujours de très bonne heure pour nous placer en sécurité au bord de la route, et lors de cette édition, nous n’avons eu aucun problème. Globalement, j’ai trouvé les commissaires prévenants, ouverts au dialogue, cohérents… et courageux. Cela n’a pas toujours été le cas !
Après nos reconnaissances, un constat s’impose : cette année, ce n’est pas un « grand » Monte-Carlo mais il y a un vrai « juge de paix » : Ubraye – Entrevaux. Un tronçon qui devrait dégager une certaine hiérarchie… au moins au niveau du courage et particulièrement lors du passage nocturne! Un chrono qui n’a rien à envier à Sisteron, Rosans ou Faye…à part sa distance.
Pour Fabien, Christophe et moi, le Monte-Carlo 2023 débute le jeudi 18 janvier à 6h du matin. Nous prenons la route en direction de notre QG de Saint-André-les-Alpes. Nous empruntons au passage la magnifique spéciale de Malijai-Puimichel avant de chercher un « spot » pour le vendredi dans Briançonnet – Entrevaux. Nous jetons notre dévolu sur une portion hyper rapide vers le km 10 puis nous rentrons au chaud à Saint-André. Enfin !
Saint-André-les-Alpes est un magnifique village dans le Parc Naturel Régional du Verdon. Situé au bord du Verdon et sur les rives du Lac de Castillon, Saint- André est un peu la « Mecque » du parapente, mais pas que… A quelques pas de notre logement, nous disposons de notre « cantine », en réalité il s’agit de l’ancienne auberge appartenant au héros local, un certain… Patrick Magaud ! En 2012, l’ancien pilote Citroën et vice-champion de France des rallyes a cédé les commandes du restaurant « la Table de Marie » à Sandra et son compagnon. Patou est aujourd’hui ouvreur pour Adrien Fourmaux. Dés que nous franchissons le seuil de la porte, le jeudi soir, nous entrons de plain-pied dans l’Histoire du rallye et du Monte-Carlo. Les murs sont enguirlandés de photographies relatant les exploits de l’enfant du pays mais aussi des légendes vivantes que sont Andruet, Loeb, Ogier, Elena… La table est bonne, l’accueil chaleureux, Sandra nous évoque tous ses souvenirs, tous nos souvenirs. Elle nous parle de Ragnotti, du passé, de Kalle Rovanperä qui est venu manger ici il y a quelques jours, des courses de Patou avec la Golf ou la Puma et de sa victoire à la Ronde-Cévenole… Les deux soirs suivants, accompagnés de Laurent, Stéphanie et Bruno, nous franchissons à nouveau la porte du sanctuaire pour s’asseoir à la table des légendes. S’il y a une chose à retenir de cette 91ème édition, pour nous, c’est bien ça. Merci Sandra pour ces grands et beaux moments de partage, merci de transmettre la flamme de la passion à toutes les générations qui viennent s’installer à ta table !
Le vendredi 20 janvier au petit matin, de bonne heure et de bonne humeur, de notre talus nous attendons patiemment les concurrents. Nous faisons connaissance avec Jean Michel, un enduriste pur et dur, avec Jean Paul, photographe amateur à l’incroyable talent, et avec deux « gamins » passionnés dont un prépare une Samba GrB… Les heures défilent vite. Moins vite cependant que la Toyota de Kalle Rovanperä qui surgit à 180km/h pour effleurer la corde du droite sous nos pieds avec une aisance déconcertante… Ces autos sont d’une efficacité inouïe et sont de véritables fusées. Le rythme est invraisemblable ! Neuville et Lappi sont rapides mais la Hyundai semble un peu moins facile que la Japonaise. Le roi Sébastien Ogier est le plus vite, sans surprise, et si ces WRC hybrides sont un peu moins véloces que les versions 2017, ça roule quand même à une cadence infernale. La frustration, pour nous, c’est qu’après 10 voitures le spectacle est terminé ! Enfin presque… car nous sommes médusés par le niveau des pilotes du WRC2 et par celui de la nouvelle Skoda Fabia qui est déjà un ton au-dessus. Au volant des bombes Tchèques, Gryazin et Solberg sont « chauds-bouillants » et les C3 de Lefebvre et Rossel peinent à suivre. Dans cette catégorie, la bonne surprise, c’est la Hyundai de Pepe López, le vainqueur du Volant Peugeot français en 2016. L’espagnol tient la cadence des deux tricolores. J’attends avec beaucoup d’impatience le pilote de République Tchèque Erik Cais, 23ans, pour moi une des grandes révélations de 2022 et déjà 9ème à Monaco l’année dernière. Nous ne sommes pas déçus, avec sa Fabia le prodige de Zlín qui effectue son 6ème rallye à ce niveau, évolue ici au niveau de Fourmaux. Adrien est à l’attaque mais sa Fiesta ne peut suivre la cadence, ça saute aux yeux. Frustrant !
Pour le second tour à 16h39, nous choisissons un passage dans un léger droite à fond, en descente, nous voyons ensuite les autos entrer dans un enchainement avec de belles cordes. Là, nous faisons connaissance avec un jeune homme accompagné de son père, le rejeton a effectué son premier rallye avec une Clio N3 de location en 2022. La discussion est bien engagée quand Kalle Rovanperä surgit et fait forte impression. Le droite est avalé à 150km/h environ et le Finlandais continue de prendre de la vitesse avant de freiner pour se jeter dans les gauches/droites cordes qui suivent… Le champion du monde claque le scratch. En WRC2, 6 pilotes se tiennent en 2sec8 à l’arrivée, après 14,5km. C’est beau ! Oliver Solberg est le plus rapide, 0sec3 devant Erik Cais qui monte en puissance et navigue au niveau des cadors de la catégorie.
Changement de décor le lendemain matin. A Saint-André-les-Alpes, le thermomètre affiche -14°C… Bon, nous avons déjà dormi par -15°C sous la tente dans le Vercors… la motivation surpasse tout ! Nous longeons tranquillement le magnifique Lac-de-Castillon et allons nous enfermer dans Ubraye – Entrevaux. Entre le Col-de-Laval et le gros carrefour d’Entrevaux, plus de 6km de descente, une portion complètement folle, bosselée, avec de grosses cordes, beaucoup de virages aveugles, une sorte d’Ouninpohja sur goudron ! Dans cette portion inédite, ça vole, les WRC absorbent toutes les difficultés au rupteur dans une sorte de danse diabolique.
Ogier et Evans sont époustouflants, d’ailleurs ils sont ex-æquo à l’arrivée… mais à 4sec6 du MT après 21,8km. Neuville donne tout et même plus mais sa monture bouge beaucoup sur les bosses, à 190km/h c’est chaud… Presque effrayant. Dans le doute, Thierry laisse le pied droit à la tôle. Chapeau ! Rovanperä est sidérant d’aisance et de précision, c’est lui le plus rapide. Rien ne semble impressionner ce gamin élevé par une « Starlet » dans les chemins forestiers. Kalle dispose d’une capacité d’adaptation sidérante. En WRC2, Adrien Fourmaux « débranche » et compense les faiblesses de sa monture, il réalise le 3ème temps de sa catégorie, avec ses co…… ! Gryazin en furie claque le MT mais 1sec5 seulement devant Erik Cais qui évolue visiblement sur un terrain à la hauteur de son immense courage. Bluffant !
Le second passage dans ce morceau de bravoure, nocturne, promet beaucoup. Le soleil s’est caché, la température descend, nous sommes parcourus de quelques frissons, mais probablement bien moins que les équipages qui devrons se jeter dans la pénombre et l’effrayante descente après le Col-de-Laval. J’imagine que dans les habitacles, la concentration et la tension doivent êtres à leur paroxysme. C’est le « grand moment » du rallye. Certes, il est très facile d’y crever un pneu dans une corde et certains pilotes comme Ogier préfèrent logiquement assurer. Mais une chose est sûre, ici le chrono sera impitoyable et ne pourra révéler que les meilleurs et les plus intrépides. Rovanperä continue son festival et améliore son chrono de jour de 5sec (!). Il pose 6sec7 à un Thierry Neuville héroïque mais impuissant. Evans et Ogier suivent. En WRC2, Alejandro Cachón démontre un indiscutable potentiel. Au volant de sa C3, l’espoir Espagnol est à moins de 5sec de Stéphane Lefebvre. Erik Cais, lui, confirme. Il est ahurissant d’attaque et de vitesse et claque le meilleur chrono en WRC2. Il réalise le 8ème temps scratch, à 1sec5 au kil du champion du monde… Exploit ! Il est à noter que pour son premier rallye en WRC, le Catalogne 2021, Erik avait déjà réussi un MT du WRC2 devant Solberg, Fourmaux et López…
Le grand bonhomme et le roi indiscutable de ce Monte-Carlo 2023 est évidemment Sébastien Ogier. On peut y associer son copilote Vincent Landais, irréprochable. Décrocher une 9ème victoire ici est assez invraisemblable. Ogier est bien plus qu’un champion, c’est une légende du rallye. Cependant, vu du bord de la route, le double exploit du rallye a été, pour moi, réalisé dans cette fameuse spéciale d’Ubraye à la lueur des phares. Kalle Rovanperä a survolé une spéciale taillée pour son immense talent et son courage légendaire. Ces quelques kilomètres de folie et d’adrénaline ont aussi révélé Erik Cais aux yeux du monde. En 12min03sec8, il est peut-être entré dans le cercle fermé des étoiles du rallye. Lui aussi devrait bientôt s’asseoir à la table des légendes.
Le même ressenti pour moi, du bord de la route c’est vraiment impressionnant. La où nous étions 0 soucis avec les commissaires, ni avec la fermeture de route, on les a juste vu faire déplacer des jeunes 3 fois de suite alors qu’ils se sont posés là où ils leurs avaient dit… Nous n’avons pas eu la chance d’aller dîner chez Sandra, mais le barbecue fut très sympa, d’ailleurs merci au deux jeunes ardéchois pour le sel 😉 Vivement l’année prochaine pour une autre expédition, et merci encore une fois pour ton récit JF. Ps: rallysport l’article n’apparaît pas dans… Lire la suite »
Le rallye se vit du bord des routes, quel meilleur jugement que de visualiser en “concret” le déroulement d’une ES. Le frisson d’un “passage” qui restera dans nos têtes… La médiocrité de la couverture médiatique officielle doit nous encourager à nous déplacer sur les épreuves avant de faire les journalistes de “clavier”. Et puis l’aventure est souvent enrichie de rencontres, de paysages et de partage. Même si beaucoup de “choses étaient mieux avant” LOL.