Dans cette deuxième chronique “L’œil de l’ingénieur” de la saison, Cédric Mazenq nous emmène sur les spéciales du rallye de Suède, seule manche neige de la saison, et où l’on roule exclusivement avec des pneus cloutés.
Cette singularité unique dans la saison demande une préparation toute particulière ; en effet même si l’on roule en pneus cloutés au Monte-Carlo, il ne s’agit pas du tout de la même configuration de gommes. Lors de la manche d’ouverture de la saison, la gomme cloutée est une option sur des thermo gomme pour une base tarmac ; en Suède, la voiture est en base terre, et les clous sont des vrais pneus pour la « glace », avec une raideur verticale inférieure (plus proche d’un pneu terre), une largeur de gomme moindre, un nombre de clous supérieur, et une hauteur de saillie de clous supérieure également. Bref, un autre monde ! Du coup la voiture est en configuration terre pour sa grande majorité, mais avec beaucoup de spécificités liées au terrain et aux conditions hivernales : éléments de carrosserie ou aéro spécifiques (plus souple, moins cassant), des réglages d’amortisseurs revus pour optimiser le travail des clous, ou tout ce qui est configuration de refroidissements, quels qu’ils soient (moteur/frein/hydraulique).
En profil, c’est pas compliqué : prenez le rallye de Finlande, saupoudrez de neige, montez la clim’, vous êtes en Suède ! La ressemblance risque (malheureusement) d’être encore plus frappante cette année si la neige manque.
Quand la neige est présente en abondance, les paysages sont fabuleux. L’engouement général du public est également assez fort sur cette épreuve : les « vikings » sont prêts à braver les températures négatives pour encourager leurs pilotes fétiches.
Malgré tout ces bons côtés, les conséquences du réchauffement climatique inquiètent : pour subsister, le rallye ne va pas avoir trop le choix que de migrer plus au Nord pour retrouver de bonnes conditions de neige et de glace. Mais la grosse partie du budget provenant des subventions ou des budgets des villes sponsors (ex : Karlstad), les choix sont bien souvent aussi bien financiers que politiques. Faisons confiance à la FIA et aux organisateurs pour trouver une solution de pérennité pour les années futures (d’autres pistes sont à l’étude, pas uniquement en Europe pour un rallye neige, et ce depuis déjà quelques années…)
TECHNIQUE
Pour ce rallye de Suède, on va évoquer deux sujets : la gestion des pneumatiques et les réglages du différentiel central.
Commençons par les pneus.
On peut déjà écarter une idée reçue en précisant que le grip longitudinal d’un pneu clou est plus important que celui d’un pneu terre. On accélère plus fort et on freine plus fort. C’est une sensation vraiment bluffante à vivre depuis l’intérieur de la voiture, quand on sait qu’on ne tient pas debout à pied sur la glace vive ! On prend les mêmes G que sur l’asphalte !
Le niveau de grip est directement lié à l’état et au nombre de clous. Comparé à la terre ou l’asphalte , l’écart de grip entre le début et la fin d’une boucle de spéciales est plus important. Pour gérer au mieux tout ça, il faut avoir une véritable stratégie de gestion des clous, qui va s’avérer encore plus capitale quand les conditions sont dures pour les pneus : autant dire que l’édition 2020 s’annonce un must en gestion des usures ! L’équation est assez simple, la solution beaucoup moins évidente : il s’agit de minimiser l’écart d’usure des pneus entre 2 pneus du même axe tout d’abord, et entre les pneus de l’axe avant par rapport à l’arrière ensuite. Prenons un exemple pour illustrer cela : partir avec 6 clous neufs, « tuer » ces 4 clous dans les 2 premières ES de la boucle, et vouloir profiter de 2 clous neufs pour la 3ème et dernière ES : autant vous dire que vous ne tirerez jamais le potentiel de ces 2 clous au maximum, car l’écart d’usure sera si important que la voiture sera complètement déséquilibrée. Le jeu consiste donc à des permutations permanentes pour balancer au mieux l’usure sur la longueur d’une boucle. Pas simple me direz-vous ! En effet, surtout que cette tâche incombe à l’équipage : si vous avez déjà changé une roue dans la neige par -20°C vous comprendrez de quoi je parle !
Le fait d’avoir à adapter la voiture au fur et à mesure de l’usure des pneus m’emmène naturellement au 2ème point : les réglages du différentiel central.
Toutes les voitures depuis 2017 possèdent un différentiel central piloté. Piloté, ça veut dire quoi ? Cela veut dire que l’on est capable de faire varier le taux de blocage en faisant varier la pression de commande. On peut ainsi passer de 0 à 100 bars en fonction du besoin. Autrement dit, soit rendre l’axe AV complètement indépendant de l’axe AR, soit lier les axes AV et AR ensemble.
Pour faire très schématique, plus on met de pression, plus on lie les 2 axes, moins on autorise le lacet de la voiture (mouvement de rotation autour d’un axe Z). A l’inverse, moins il y a de pression, plus la voiture est « libérée », plus on autorise le lacet (la voiture pourra « rotater »).
En fonction de chaque condition, trois paramètres principaux permettent de définir les réglages de ce différentiel central.
Tout d’abord, on distingue les phases d’accélération et de freinage, avec une pression plus faible généralement pour l’accélération (pour favoriser le pouvoir directionnel) et une pression plus forte pour le freinage (pour favoriser la stabilité, et éviter les blocages de roue).
Le deuxième paramètre est celui de la vitesse du véhicule. Plus tu vas vite, plus tu as besoin de stabilité et donc de pression. Réflexion inverse pour des vitesses véhicule plus lentes : besoin d’agilité, donc moins de pression.
Le troisième paramètre, le plus technique, est de faire varier la pression du différentiel en fonction du comportement de la voiture. Les ingénieurs parviennent à caractériser la balance de la voiture en spéciale : en fonction de cela, on adapte les pressions en direct proportionnellement au niveau de sous-virage ou de survirage.
Globalement, cet ensemble de paramètres et de pressions liées représentent les « cartographies » du différentiel central (ou diff maps). Elles sont sélectionnables par le pilote au volant, et ce même en cours d’une spéciale. C’est une science assez complexe, qui demande beaucoup d’expérience et de savoir faire. Mais c’est capital dans la performance d’une WRC aujourd’hui.
ERREUR A NE PAS FAIRE
Considérer que ce rallye de Suède 2020 va se dérouler dans des conditions normales serait une grave erreur ! Outre les conditions particulières, avec peu de neige, ce rallye va être un véritable sprint, car en plus de l’itinéraire raccourcie, je suis prêt à parier que d’autres ES seront annulées. Il ne faudra donc pas s’endormir sur les premiers kilomètres car il sera difficile de rattraper le temps perdu sur un kilométrage aussi court….
JUGE DE PAIX
Sans l’enneigement habituel, les conditions ne sont pas faites pour rouler avec des clous. Les spéciales vont donc se creuser massivement et être rapidement défoncées : ça va être Bagdad pour les deuxièmes passages ! Contrairement à d’habitude, les pilotes qui vont devoir partir devant, vont retrouver le sourire…. Chaque année, ce n’est pas cool de gagner le Monte-Carlo en vue de la Suède, mais cette année, on risque d’avoir l’inverse.
Côté notes, avec l’absence de murs de neige qui permettent d’augmenter sensiblement les vitesses de passage en courbes, les concurrents vont devoir s’adapter et quasi repartir d’une feuille blanche en reco : un véritable challenge ! Un véritable travail de titans pour les pilotes et copilotes car le profil des spéciales va vraiment changer…
ANECDOTES
En 2011, première année de la DS3 WRC, j’accompagne Petter Solberg. C’est la 1ère saison de la DS3 WRC, et on reçoit la voiture seulement 15 jours avant le départ du rallye, mais avec très peu de données de l’usine car la voiture était encore « vierge ».
On part donc avec un choix de setup audacieux et au début, nous sommes devant les 2 officiels, bien aidés toutefois par l’ordre de départ. Le rallye se passe très bien jusqu’à un problème technique lors d’un service, qui oblige Petter à pointer en retard. Pour « rattraper » ce retard, Petter se fait prendre en excès de vitesse, avec retrait de permis. Malgré une tentative de négociation, son permis se voit retirer avec effet immédiat, tout juste avant la Power Stage, ultime ES du rallye ! Pas d’autre alternative que de céder le volant à son copilote Chris Patterson ! Nous découvrons cela en live à la télé ! Petter tente de lui donner des notes, tout en le conseillant sur la voiture, et les rapports de boite. Sur le moment, on n’en menait pas large, mais avec le recul, c’était risible : un véritable sketch !
Pour l’édition 2013, j’ai un souvenir également bien marquant. Cette année là, je suis l’ingé de Mikko qui arrive prêt comme jamais : bilan mur de neige dans l’ES2 : perte de 33min… Ogier et Loeb évoluent vraiment dans une autre catégorie, sur une autre planète, lors de cette édition. Loeb est un peu distancé le jour 1, pour un choix de diff non optimal. Le J2 et J3, c’est la Champions League ! Cette épreuve a laissé beaucoup de regrets à tous les fans du WRC en voyant cette bagarre au coude à coude. Une saison complète Loeb vs Ogier avec 2 teams 100% derrière eux aurait été fantastique pour le sport : on aura eu que quelques affrontements partiels, mais chacun de ces matchs est rentré dans la légende du WRC !
En effet, cela permet de comprendre la subtilité et la complexité du WRC à l’époque actuelle, au-delà du seul pilotage et de la navigation. Gérer les pneus et maîtriser les réglages s’avère essentiel, alors que dans les années 80 au volant d’une Kadett gte, quel que soit le terrain c’était tout de même infiniment plus simple…
Qu’est-ce-que je lis ???
C’est pas moi qui le dit :
“…Une saison complète Loeb vs Ogier avec 2 teams 100% derrière eux aurait été fantastique pour le sport…”
Bah tiens. Je le dis depuis des années, mais moi Chui pas ingénieur en WRC…
Qui nous a privés d’une telle saison ??? Qui n’en rien à foutre des spectateurs, du sport et ne pense qu’à sa gu.ule ?
Et on ose encore me reprocher de lui en vouloir…