Dans cette quatrième chronique “L’œil de l’ingénieur” de la saison, Cédric Mazenq nous emmène sur les spéciales du rallye d’Estonie, nouveauté de cette année 2020 très particulière.
C’est la rentrée des classes ! Après de long mois de chômage forcé, le WRC reprend enfin le chemin des spéciales, et c’est un euphémisme de dire que l’attente a été longue. De mon côté, malgré le lancement de ma nouvelle structure Race Group, je vais essayer humblement de continuer à vous décrypter les épreuves de la catégorie reine. Période oblige, et après une énième mise à jour du calendrier 2020, le WRC va donc poser pour la première fois ses valises en Estonie. Ce rallye, pour sa 1ère à ce niveau, va avoir la tâche ardue de remettre en selle tous les pilotes et les teams, après cette longue pause imposée par le Covid19.
L’Estonie, on ne va pas se mentir, a un profil très similaire à celui de Finlande. Les vitesses moyennes y sont très élevées (encore plus qu’en Finlande, pari tenu !) de part le profil des routes extrêmement roulantes et rapides. C’est un rallye qui n’est pas inconnu par les teams, car beaucoup d’entres eux en avait fait leur rallye de préparation pour la Finlande. Les estoniens sont des fous de rallye, d’autant plus ces dernières années avec l’avènement d’excellents pilotes nationaux : Markko Märtin il y a quelques années, Urmo Aava et bien sûr actuellement Ott Tanak, le champion en titre. Ce dernier jouit d’un statut de star nationale, et il va arriver chez lui en héros de la Nation !
L’organisation de ce rallye dans le passé n’avait absolument rien à envier à une épreuve WRC. L’équipe est très soudée autour d’Urmo Aava, ancien pilote WRC, aux commandes et fervent défenseur de son épreuve. Son seul défaut jusqu’alors était de finalement trop ressembler à la Finlande et d’être un peu mis de côté à cause de cela. Son entrée au championnat cette année n’est finalement que juste récompense pour cette épreuve.
Avec des routes très rapides et larges, on peut qualifier ce rallye de parfait mix entre la Finlande et la Pologne. Ce n’est pas un cadeau pour les pilotes que de redémarrer la saison sur un profil aussi rapide car il faut énormément de confiance pour rouler vite sur ce terrain. Les pilotes ont quand même eu l’occasion de tous re tester (plus ou moins), en participant notamment à ce rallye national en Estonie il y a quelques semaines.
UNE PAUSE QUI CHANGE BEAUCOUP DE CHOSES
Cette pause depuis le Mexique ne veut pas dire pour autant que le WRC est resté au point mort. La crise économique et les interrogations diverses sur l’avenir du championnat ont majoritairement poussé les différents constructeurs à revoir leurs plans de bataille. Beaucoup ont préféré geler les évolutions prévues, qui vont rester dans les cartons, notamment car ils n’avaient aucune garantie de la reprise du championnat. C’est le cas par exemple de Toyota, qui avait entrepris de développer une toute nouvelle auto pour 2021, projet qui restera certainement et malheureusement sans suite à l’heure où l’on se parle.
Ainsi, vu le contexte actuel, les différents constructeurs ont préféré mettre en stand-by le développement pour 2021 afin de mieux se concentrer sur 2022, et l’arrivée de la nouvelle réglementation. Du côté des voitures, on va donc se retrouver avec des autos très similaires au début de saison.
Cette pause forcée nous a aussi permis de voir Sébastien Ogier s’engager pour une saison supplémentaire, et ça, c’est un gros plus pour la discipline et pour tous les passionnés. Voir entrer également de nouveaux rallyes au calendrier va également briser un peu la routine, avec notamment le rallye d’Ypres qui promet beaucoup à cette époque de l’année et avec les WRC actuelles.
Pour les pilotes et les teams, l’Estonie sonne comme un round de reprise. Il faudra tout remettre en musique, ce sera quasiment comme un nouveau début de saison.
Cette pause a donné selon moi l’avantage aux équipes qui performaient le moins. Je pense à Hyundai qui a pu tirer profit de cette pause forcée pour travailler à combler le gap face à Toyota. De son côté, Tänak avait été coupé dans son élan dans l’apprentissage de sa voiture. Par rapport aux rallyes effectués très dernièrement, il avait l’air beaucoup mieux dans la voiture.
Du côté des ingénieurs et de l’équipe dans son ensemble, cette pause n’a pas été une période de vacances. En effet en pleine saison, les ingénieurs ont plein d’idées de développement et d’amélioration continue qu’il est rare de pouvoir mener à bien par faute de temps. Ce break a donc permis à tous de faire plein de choses. En plus de pouvoir analyser en profondeur de nombreux paramètres des rallyes passés, les ingénieurs ont pu par exemple développer des outils qu’ils n’auraient jamais eu le temps de mettre en œuvre quand on a la tête dans le guidon : il peut s’agir d’outils d’analyse, de soft de traitement de data, revoir ou proposer de nouveaux diagrammes d’amortisseurs, revoir les cartographies de différentiel, voir même développer des outils de prédiction de setup. Le temps est une denrée rare en pleine saison, faisons confiance à tous les teams d’avoir affuté leurs crayons pour la rentrée des classes !
Face à cette situation exceptionnelle, les équipes ont roulé un peu partout pour préparer au mieux la reprise. Attention à ne pas tirer de conclusions hâtives des écarts observés sur les rallyes de préparation : ce sont plus des séances de tests grandeur nature que des rallyes, et il est toujours délicat de savoir les configurations des autos entre les différents pilotes.
JUGE DE PAIX
On va voir sur ce rallye la capacité des équipes et des équipages à se remettre dans le bain après cet énorme break, inédit dans l’histoire du championnat du monde. Il va falloir rapidement reprendre ses automatismes pour ne pas être en difficulté dès le départ. Il ne s’agit pas que des pilotes. Le WRC c’est comme le vélo, c’est censé ne pas s’oublier ! Mais un break si long peut révéler quelques dispersions entre les temps de réadaptation de chacun, équipe technique y compris. Vous le savez car je le défends depuis toujours, l’exploitation au sens large est un élément prioritaire sur la performance d’un équipage. Pour cela il faut être rodé et prêt : voyons ce qu’il en sera sur cette reprise.
ERREUR A NE PAS FAIRE
On a à faire à 2 exceptions notables sur ce rallye : le kilométrage total (232 km à peine) va le transformer en véritable sprint. De plus le leader du championnat ne va ouvrir la route que la matinée du samedi (soit 32% du total de l’épreuve). C’est en proportion à quelque chose prêt identique aux épreuves précédentes, mais ça va représenter moins de kilomètres. Quand on sait que les écarts sur les rallyes si rapides sont minimes, on peut s’attendre à une bataille de tous les instants, où les leaders du championnat auront la chance de pouvoir possiblement se mêler, encore plus si la météo est délicate en début de rallye.
L’erreur sera donc de repartir avec un rythme trop prudent, ce qui serait pourtant logique après un break si long. Bref pas simple, notamment car faire un zéro pointé à ce moment là du championnat ne serait pas sans conséquence, le championnat est déjà bien entamé et des calculs sont déjà à faire pour le titre pilote.
ANECDOTES
Ce rallye n’ayant jamais intégré le championnat du monde, je ne vais donc pas vous raconter une anecdote qui s’y réfère, même si nous avons fait plusieurs fois ce rallye en préparation de la Finlande. Pour parler un peu technique, ce rallye d’Estonie qui a toujours été considéré par les teams pour préparer la Finlande nous permettait de rouler avec une instrumentation plus complète que lors d’un rallye traditionnel. En effet, sur une manche WRC, la FIA impose un nombre de capteurs limité sur la voiture. En Estonie, nous roulions avec ce que l’on appelle « un faisceau d’acquis complet », habituellement destiné aux voitures de tests, où l’instrumentation est beaucoup plus complète, ce qui permet d’avoir plus de données à traiter et à post analyser. Par exemple, nous équipons les transmissions de « torque sensors » qui permettent de mettre au point la balance de différentiel, en connaissant roue par roue les couples qui passent par les transmissions latérales. Côté châssis, on avait également des accéléros verticaux à chaque roue, qui permettent d’optimiser l’amortissement et de mesurer les accélérations vu par la caisse. Avoir l’occasion de rouler avec cette instrumentation sur un format de rallye est très enrichissant pour les teams, et donnent beaucoup d’informations aux ingés. Il est probable que le même type de dérogation est eu lieu lors du rallye national estonien qui s’est déroulé il y a quelques semaines. Voyons qui sera le mieux en profiter. A vos masques, prêts, partez !
Beaucoup trop peu de commentaires pour soutenir cette rubrique incontournable de RS. Donc merci Julien de RS et Cedric Mazenq.
Bon c’est la reprise, y’a eu moins de commentaires ces derniers mois à cause de la pause forcée (et peut-être un peu aussi à cause des pouces rouges qui de temps à autre donnent un peu une impression de “tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous” alors qu’à la base on vient ici pour passer un bon moment), mais ça va enfin redémarrer dès ce week end.
Toujours aussi sympa cette chronique, même si un peu moins technique que d’habitude ( à part le dernier paragraphe) , nouvelle épreuve oblige.
Merci Cédric!