Dans cette cinquième et dernière chronique “L’œil de l’ingénieur” de la saison, Cédric Mazenq nous emmène sur les spéciales atypiques du Rally Monza, une épreuve forcément très particulière.
Pour cette épreuve inédite, je voudrais commencer par féliciter le promoteur et la FIA d’avoir réussi à conserver cette épreuve contre vents et marais. Certains sont critiques vis-à-vis d’autres championnats comme la F1 par exemple (qui a pu malgré la Covid-19 assurer un service minimum et avoir un championnat décent). Mais les enjeux sont différents et les contraintes sanitaires également. Réaliser un huit-clos en circuit est une chose réalisable, gérer un flux de personnes sur une épreuve multi sites impliquant plusieurs acteurs et décisionnaires, au niveau sportif mais aussi local, est hautement plus complexe. Réjouissons nous donc de l’existence de cette épreuve qui va avoir la lourde responsabilité de clôturer ce championnat 2020 on ne peut plus particulier.
Cette épreuve est une victoire car elle a donc déjà le mérite d’exister. Tout le monde veut voir du rallye, car la Sardaigne remonte déjà à début octobre dernier.
J’ai entendu certains parler de rallye « au rabais ». Selon mon point de vue, au contraire, l’épreuve de Monza nous ramène à l’essence même du rallye : aller le plus rapidement possible d’un point A à un point B, et ce dans n’importe quelles conditions ! Les portions sur circuit (qui sont loin de représenter l’intégralité du rallye) amènent de la diversité, et c’est aussi ce paramètre qui fait la beauté du WRC et de notre passion : pouvoir laisser s’exprimer les meilleurs pilotes du monde et les autos les plus évoluées sur des terrains si différents, chacun représentant un challenge nouveau et singulier. Un champion en rallye doit être capable de « dealer » avec toutes les conditions, et je n’ai aucun doute que les meilleurs seront encore au RDV et aux avants postes.
La difficulté supplémentaire qui va ajouter du piment à ce dernier weekend de l’année, ce sont les enjeux énormes qui entourent cette épreuve : en effet les titres pilotes et constructeurs restent à décerner. La pression sera donc maximale sur les épaules des teams et des équipages.
Pour les forces en présence, les pilotes « de parking » seront bien lotis (!), j’entends par là les ex-pistards ou ex-kartmen, ceux qui ont passé ou qui passent beaucoup de temps à limer le bitume ! Les pilotes généralement rapides en super spéciales vont pouvoir s’illustrer ! Rouler sur circuit est complexe et demande des qualités différentes, notamment sur la vitesse de volant et sur l’attaque des freins. L’environnement fait aussi que l’on manque cruellement de repères visuels, il n’y a pas d’arbres, de ponts ou de bas-côtés comme sur les routes classiques. Il faudra donc adopter un pilotage plus « sharp ».
Les pilotes “pur tarmac” comme Ogier, Sordo voire Evans devraient être très vites. Neuville et Tänak ont prouvé également qu’ils n’avaient rien à envier au trio cité auparavant, même s’ils sont peut-être plus à l’aise sur des conditions plus naturelles (ils me feront probablement mentir !). Côté équipe, Ford est l’équipe qui connaît le mieux le rallye avec beaucoup d’expérience lors des éditions précédentes par le biais de leurs nombreux pilotes privés. Ces data leur seront forcément utiles. Même si l’arme fatale en asphalte semble rester la Toyota lors des dernières sorties, d’autant plus sur un rallye qui va mettre en valeur le moteur et l’aéro.
CONFIG/TECHNIQUE
Lors de toutes les éditions du Monza Rally Show auquel j’ai eu la chance de participer et de gagner à plusieurs reprises, il était habituel d’avoir un setup très extrême avec une voiture se rapprochant d’une configuration de voiture de circuit (proche dans l’esprit d’une touring car).
Mais cette configuration inédite du rallye va proposer une combinaison de surfaces, de tracés et de profils bien plus complexe et diversifiée. C’est un véritable challenge, avec une mixité de surface et de nombreux changements de grip au sein même des mêmes ES….
Les journées de vendredi et de dimanche, majoritairement parcourues dans l’enceinte du « temple de la vitesse », vont permettre aux ingénieurs de passer les options les plus radicales en terme de setup : hauteur de caisse minimale (car très peu de vertical, et une volonté d’utiliser au mieux l’effet de sol aérodynamique, et de limiter la traînée), raideur générale en pompage et roulis très élevée, pour avoir une auto très réactive pour les changements incessants de direction, différentiels assez ouverts pour favoriser la mise en lacet rapide… Certains détails comme la pénétration dans l’air des autos vont être travaillés spécifiquement (ajustement de carrosserie, appendice aéro…). On pourrait même observer des carrossages dissymétriques. Les lois d’amortissement peuvent également être spécifiques sur ces 2 journées, avec beaucoup plus de charge hydraulique à basse vitesse. Nous allons donc avoir des autos très « racing » dans l’esprit, même si les conditions de grip attendues et les portions en terre ajoutées de ci de là pousseront les teams à garder un compromis. L’équilibre sera donc délicat à trouver.
A contrario, la journée de samedi, avec des ES qui dans le profil sont un mix entre ce que l’on peut rencontrer en Corse et au Monte Carlo, plutôt très sinueuses et avec beaucoup de dénivelé, va imposer un setup beaucoup plus safe et « traditionnel ». Les conditions météos risquent de faire la part belle au choix de pneus (ndlr : les gommes Neige non cloutées étant autorisées). On risque d’avoir un avant goût de Monte Carlo avant l’heure, d’autant plus que les conditions attendues sont très hivernales.
Ça promet donc de belles parties de mécaniques, de transformations de setups entre les différentes boucles, et à n’en pas douter une surchauffe des neurones dans les cerveaux des ingés du paddock….
JUGE DE PAIX
Les ES parcourues sur le circuit et le paddock, dans un sens ou bien dans l’autre, vont vraisemblablement être très serrées en termes d’écart, car pas suffisamment sélectives pour créer des écarts significatifs. Hormis erreurs ou fautes, c’est donc sur la journée de samedi que le rallye devrait se jouer. Il faudra faire preuve d’expérience et d’intelligence pour passer à travers tous les pièges que cette édition promet. Le vainqueur de cette bataille sera à coup sûr un grand et beau vainqueur, n’oublions pas que c’est en plus de tout un rallye nouveau que la majorité des pilotes découvrent (d’autant plus vrai le samedi…). Les ordres de passage vont inexorablement faire partie du jeu également, malin celui qui saura quelle est la meilleure position samedi matin au départ de la 2ème journée…
ERREURS A NE PAS FAIRE
Techniquement, les autos asphaltes utilisent des répartitions de couples très arrière (typage propulsion) pour éviter le sous virage chronique. Cela peut se révéler un handicap pour les multiples épingles et changement de directions avec des rayons de braquages extrêmes, notamment dans l’enceinte du circuit avec les multiples gymkanas type « Mickey Mouse Stage ». En effet, les risques de calage sont plus importants, et c’est un vrai sujet qu’on dû travailler spécifiquement les pilotes et les teams avant le rallye. Le nombre de calage sera donc un paramètre à surveiller, et tous risquent de ne pas être égaux sur ce sujet.
Autre détail qui n’en est pas un, l’éclairage, et les ES de nuit. Les pilotes vont rencontrer de multiples changements de luminosité, entre les parties du circuit très éclairées, et les zones noires dans les paddocks. C’est assez déroutant, et selon la qualité des rampes de phares et la qualité de leur réglage (qui prend parfois plusieurs heures), on risque d’avoir des pilotes plus à l’aise que d’autres. L’erreur est de ne pas suffisamment avoir conscience du gabarit de la voiture dans une zone de transition, et de taper une roue. Attention donc !
ANECDOTES
J’ai eu la chance de faire Monza à plusieurs reprises, et c’est un rallye que j’apprécie énormément pour l’ambiance de « show » qui y régnait. C’était jusqu’alors un rallye hors championnat, qui servait de rassemblement de fin d’année, un rallye « champagne » au propre comme au figuré ! L’ensemble des grid girls qui arpentaient le paddock et les boxes en tenues légères m’ont toujours posé de gros problèmes pour parvenir à garder la concentration de mes pilotes ou de mes mécanos ! J’ai malgré tout réussi à gagner ce rallye avec le plus dissipé d’entre tous (un espagnol qui roule ce week-end pour Hyundai pour ne pas le citer !) Excellent souvenir sportif au demeurant, car l’ingénierie sur ce genre de weekend prend une importance plus haute dans le résultat final.
Les températures hivernales et le huis-clos ce weekend devraient permettre de garder les bikinis au chaud, et donc d’éviter ce genre d’écueils 😉 … que les meilleurs gagnent donc !
Dommage que cette rubrique n’existe plus !
J’aimerai savoir quelle est la part d’une WRC1 lorsque la marque développe une WRC2 ? Je suppose qu’il ne s’agit pas juste de rajouter une bride différente. Merci.
conte vents et marées